Par Lea Rosa Della Volta

C’est un lien cosmique, un moyen de se reconnecter à ses racines, que la chorégraphe Ana Rosa Manzanera, originaire de Valence en Espagne a créé en imaginant sa compagnie qui porte son nom. Elle travaille sur des thématiques actuelles que la danse contemporaine exprime et sublime.

Les rencontres, les circonstances de la vie, sont souvent des facteurs déterminants dans la vie, d’un artiste, mais de manière plus subtile, ce qui détermine sa trajectoire artistique, une trame invisible. Une preuve que le hasard n’existe pas, et que sa voie est tracée, que les gènes de la création sont en lui. La danseuse et chorégraphe espagnole, Ana Rosa Manzanera entretient ce lien invisible et ce n’est pas un hasard si elle a donné à sa compagnie le nom de Manzanera, qui est le nom de sa mère : « le nom c’est l’essence même de ce qu’est une racine, à partir de laquelle j’ai élaboré mon discours avec la vie »

Lea : Pourriez-vous me parler brièvement de vous, de votre parcours créatif et des raisons pour lesquelles vous avez décidé de vous tourner vers la danse contemporaine, Ana Rosa ?

Ana Rosa : C’est après avoir arrêté la gymnastique rythmique professionnelle à l’âge de 17 ans que je me suis tournée vers la danse contemporaine à l’âge de 19 ans. Je me suis d’abord intéressée à la danse par curiosité et désir d’expérimenter une approche plus globale du mouvement. J’ai décide d’ailleurs de mettre de côté les règles et les codes des mouvements auxquels j’étais habituée afin d’appréhender la danse d’une façon différente. Cette approche m’a permis d’expérimenter le mouvement à travers la danse contemporaine mais également d’imbriquer ce que j’avais appris dans ma carrière d’athlète . Aujourd’hui, après plus de dix ans de danse, je continue d’être attirée par la danse, de la choisir de façon constante, car je crois profondément qu’elle est une expérience très complète de ce que rprésente la création elle-même, une expression, une façon de comprendre, de connaître le mouvement que le monde évoque, notre lien avec l’humanité.

Lea : Faites-vous partie d’une famille d’artistes ?

Ana Rosa : Pas vraiment. Ma mère a étudié la décoration d’intérieur et s’est ensuite tourné vers la couture. Elle a un esprit assez artistique. Et même si on ne peut pas dire qu’elle a le train de vie d’un artiste, j’ai toujours pensé qu’elle avait un côté très créatif. Toutefois, mon frère Juan, bassiste dans le domaine artistique de la musique, et moi-même, chorégraphe et interprète dans le domaine artistique de la danse, avons ce lien.

Lea : depuis combien de temps votre compagnie existe-t-elle ? De quelle manière votre compagnie se distingue-t-elle des autres, combien de personnes y travaillent-elles ?

Ana Rosa : en 2017, je suis tombée par hasard sur Laia Bernad, une pianiste qui avait envie de collaborer à un un projet mêlant danse et musique, ce qui m’a amenée à fonder ma compagnie de manière fortuite. Suite à cela, nous avons collaboré pour développer deux œuvres, “Anatoma Emocional” (2018) et “Intruders”, qui étaient principalement axées sur le mouvement et la musique live afin d’entamer une conversation avec le public.

Simultanément, je créais mes propres œuvres originales en tant que soliste en association avec d’autres créatifs issus de différents domaines, incluant des photographes, des vidéastes et des locuteurs d’autres langues artistiques… Concrètement, notre organisation s’adapte aux exigences de chaque projet mené, et des personnes ayant des intérêts connexes les rejoignent en fonction des exigences du projet. La troupe de cette compagnie est donc adaptable et en constante évolution grâce aux collaborations permanentes entre les différents artistes. En vue de maintenir un certain niveau de liberté créative et un système de recyclage au sein de l’équipe artistique, Cia Manzanera est ouverte à l’invitation d’artistes temporaires qui souhaitent travailler avec la compagnie sur une variété de projets pendant une période prolongée.
La caractéristique de cette compagnie, dans laquelle nous avons choisi de ne pas forcer ce qui doit arriver, est qu’elle a toujours opté pour des projets qui préservent la possibilité de faire partie d’un projet et de le laisser naître, puis de nouveaux artistes arrivent et échangent leur place dans la compagnie, si c’est ce qui doit se produire.
Ce qui la distingue des autres organisations, c’est la notion de liberté entre les artistes indépendants qui collaborent ; c’est une compagnie qui fonctionne grâce à des collaborations et des projets multidisciplinaires. Nous offrons une perspective collective mais individuelle sur les questions qui concernent notre contexte, les projets basés sur l’identité et les forces institutionnelles qui nous entourent et qui nous lient.

Lea : Que privilégie la compagnie en matière de répertoire ?

Ana Rosa : Je pense que la vie elle-même peut devenir le répertoire sur lequel nous travaillons, pour autant, notre compagnie n’est pas un groupe spécialisé dans la production de répertoires. Nous travaillons sur des thématiques en lien avec la réalité dans laquelle nous nous trouvons, et à partir de là, l’équipe artistique collabore et cherche à transposer ou à exprimer un thème de la vie ou un élément susceptible d’attirer notre attention sur le présent, pour ensuite créer une recherche et une communication autour de ce thème par le biais d’un résultat artistique ou d’une représentation.

Lea : Vous aimez associer art et engagement. Pourriez vous m’en dire plus ?

Ana Rosa : Bien qu’ayant arrêté la compétition en tant que gymnaste, je travaille toujours en tant qu’instructrice de gymnastique rythmique dans un club de Valence appelé ITVECA, qui est dirigé par Veronica Albert. Tous les ans, l’équipe de professeurs, dont je fais partie, crée des chorégraphies et des galas dont les bénéfices sont reversés à l’Association espagnole de lutte contre le cancer (AECC), afin de soutenir sa cause, son combat et la recherche de nouveaux moyens plus performants pour guérir cette maladie.
Lors du lancement de mon partenariat avec l’AECC, j’ai eu envie de me pencher sur ce sujet par le biais de la danse et j’ai créé une pièce intitulée “Chancer”, une œuvre qui souligne les risques d’être touché par cette maladie et la bataille qu’elle implique.
C’est un sujet important qui a marqué un tournant dans ma carrière, et c’est à ce moment-là que j’ai fait ma première représentation en solo en dehors de Valence, avec l’aide du Centre chorégraphique de La Gomera, pour recréer et étudier le projet “Chancer” et le présenter à un public international lors du festival de danse 32o Certamen Coreográfico de Madrid, dans le cadre du programme Me, Myself, & I.


Credit photos : Couverture Aitor Serra

Photos projet Chancer: Alain Dacheux