par Léa Raso Della Volta
C’est l’une des meilleures ventes de cette année et après deux éditions, le livre de Numa Sadoul intitulé « et Franquin créa Gaston Lagaffe » est en rupture. Victime de son immense succès, l’ouvrage nous livre un Franquin méconnu.
Il a fallu 10 ans à Numa Sadoul pour convaincre son ami André Franquin de se livrer, taiseux, discret,ce dernier n’aimait guère apparaître, parler en public, il avait fait le choix de s’éclipser derrière ses personnages, Spirou, le Maruspilami et bien sûr, Gaston Lagaffe.
Mais Numa Sadoul est déjà connu dans le monde de la BD, en 1971, il rédige sa maîtrise sur la BD, car ce qui le passionne, c’est ce qui a derrière, la coulisse, aussi le titre « archétypes et concordances dans la BD moderne » explore à travers les œuvres des grands noms, les mythes qui ont présidé à la création de ces œuvres : « je les ai tous contactés, Moebius, Hergé, Franquin, Goscinny, tous ont répondu, à mes sollicitations ». Il remarque alors que toutes les Bandes dessinées sont bâties sur un schéma narratif à peu près identique : « Il y a le héros, le second, le puissant ami, le fidèle compagnon qui est souvent un animal, les comparses et les affreux »
Ces grands noms de la BD deviendront ses amis. Numa Sadoul leur consacre des ouvrages, une biographie sur le mode de l’entretien. Mais le seul récalcitrant sera Franquin.
L’aventure commence un été de 1983, ce jour-là, tout était hors norme, Franquin consentait à se livrer à bâtons rompus et il neigeait en plein été ! Il faut dire que le lieu s’y prêtait parfaitement, puisque la scène se déroulait à Callian dans le Var. Un lieu paisible où Franquin possèdait une maison et dans laquelle il passait toutes ses vacances : « j’ai été invité plusieurs fois chez lui, y compris à Bruxelles, rue du vert chasseur. Il adorait les bons restaurants, il avait un côté bon vivant ».
Un paradoxe que relève Numa Sadoul : « il était à la fois joyeux et dépressif, comme le sont souvent ces grands créatifs, qui s’inventent des mondes nouveaux, précisément parce que celui dans lequel ils doivent vivre ne leur convient pas ».
La BD un art né en Belgique
Franquin se passionne très jeune pour la bande dessinée. L’Europe méconnaît cet art et c’est naturellement vers les Etats-Unis et leurs Comics, que la jeunesse de l’après-guerre se tourne. Ce sont les GI qui introduisent ces « drôles de récits » en Belgique et qui les offrent aux jeunes.
Franquin, Peyo, Hergé, tous sont originaires du royaume de Belgique, et après la guerre, ils commencent à se forger une culture livresque.
La BD va s’introduire sur le vieux continent et en France en particulier. Le jeune Franquin se passionne aussi pour les films américains, qui mettent en scène Laurel et Hardy, Buster Keaton, Harold Lloyd, Mack Sennett et surtout Charlie Chaplin. Les dessins animés de Walt Disney tiennent une place à part : ils vont l’influencer très fortement aussi bien au niveau du graphisme que de l’humour. Tex Avery qu’il découvrira plus tard, aura aussi son importance. Les gags et gestes humoristiques contenus dans ces œuvres permettront à André Franquin d’apprendre à dessiner les mouvements humoristiques. À ses débuts, il copie ouvertement le style de son ami Jijé. Dans les années 1950, il effectuera un périple aux Etats-Unis, à Los Angeles, avant de se rendre compte que c’est à New York qu’il faut être, si l’on veut faire carrière dans la BD.
« Gaston Lagaffe, c’était lui ! »
« Franquin voulait créer un anti héros, un personnage sans prétention », un personnage, au corps en S, un brin rêveur, un peu anarchiste, pour qui toute forme d’autorité est insupportable ; pour Numa Sadoul cela ne fait aucun doute, ces qualificatifs qui définissent Gaston Lagaffe, sont ceux qui collent au personnage de Franquin lui-même.
« Franquin n’aimait pas se mettre en avant, c’était un adepte de la célèbre maxime : pour vivre heureux, vivons caché. Il refusait la bêtise, le prêt à penser, l’injustice sociale, c’était un électron libre. »
En revanche, ce qui le rendait heureux, c’était le dessin : « il était un fou de dessin et se baladait avec un carnet ».
En 2024, Franquin aurait eu 100 ans, et de nombreux ouvrages lui seront consacrés. C’est à Saint-Laurent du Var dans les Alpes-Maritimes, que le dessinateur s’est éteint, il fut incinéré à Monaco. Son œuvre demeure et Gaston restera la « face joyeuse de Franquin ».
Lea Raso Della Volta
Numa Sadoul, Et Franquin créa la gaffe, Glénat.