Par Florence-Laetitia

Le temps d’un instant suspendu, nous avons échangé avec Marc Desaubliaux sur Marceline, France, la ville de Rougemont, Paris et les autres. Décors ou personnages, chacun de ces éléments majeurs, de nature parfois anthropomorphique, de son dernier roman Marceline ou le monde des autres, participent à mettre en lumière le profond clivage sociale subsistant à notre époque. Marc Desaubliaux sait nous dévoiler la moindre parcelle d’humanité de ses personnages, leurs symbiotiques différences et surtout les maux sur lesquels ils se sont façonnés. Au fil des pages, l’intrigue nous tient en haleine, avec un questionnement persistant, Marceline arrivera-t-elle à intégrer le monde des autres ? 

Florence-Laetitia /Feat-y:

Vous avez sorti récemment votre onzième roman, Marceline où le monde des autres. J’ai lu que lors de l’écriture d’un roman, vous laissiez votre inspiration vous guider sans chemin ou plan réellement défini. Pour ce roman, tout est-il parti du personnage de Marceline? 

Marc Desaubliaux:

Alors non, ce qui m’a inspiré au départ, c’était la ville, la ville de Rougemont qui représente en réalité la ville de Senlis au nord de Paris, dont j’ai changé le nom. Je voulais créer une histoire se déroulant dans cette ville. C’est une ville que je connaissais bien, j’y ai passé beaucoup de temps en vacances étant enfant. Mes grands-parents avaient une maison là-bas. C’était ce décor que je voulais utiliser. Après, il a fallu effectivement que j’imagine une histoire autour. C’est une ville très spéciale, d’un point de vue sociétal. Il y a un véritable clivage social. J’ai vu apparaître la première petite cité dans les années 70. Et de l’autre côté, vous avez ces familles bourgeoises qui semblent avoir toujours vécu là. 

On avait ces deux mondes, face à face, qui ne se fréquentaient pas. Et, le passage de l’un à l’autre était quasiment impossible, et ce, même pour la classe moyenne.

Marc Desaubliaux

FL/Feat-y:

Justement, l’intrigue repose autour de 2 familles principales, et le roman, à première vue, peut sembler ancré dans une époque qui semble révolue. Pensez-vous que ce sujet, des différences sociales, est plus que jamais d’actualité, et qu’il n’a pas n’a pas bougé en fait? 

Marc Desaubliaux 

Alors, on m’a déjà reproché d’avoir écrit un roman qui se passe à notre époque et dont les codes sociaux datent un peu. Ceci étant dit, je trouve que la société française actuelle est complètement bloquée. Des choses ont bougé, me direz vous, dans certaines villes, telles que Paris.  On a vu apparaître, par exemple, dans cet univers, une autre catégorie sociale qu’on nomme les bobos, mais, qui font partie de la bourgeoisie.  Mais, cette bourgeoisie n’a absolument rien en commun avec celle de Senlis.  Je pense que la société française actuelle est complètement bloquée. C’est vraiment catastrophique. La promotion sociale ne fonctionne plus. Et ce n’est pas l’école, vu l’état dans laquelle elle se trouve, qui va permettre de modifier cela. Dans le passé, l’école publique a bénéficié d’enseignants engagés qu’on nommait les hussards noirs de la république. Ils ont permis à des jeunes issus de la paysannerie de se retrouver sur les bancs de polytechnique. Je pense à un exemple précis autour de moi. Les parents ne voulaient pas, les instituteurs ont insisté. Les parents ont fini par accepter. Résultat, il a fait polytechnique. De nos jours, ce genre d’histoire est de moins en moins courante.

FL/Feat-y:

Effectivement, je pense vraiment que ce sujet n’a pas vraiment évolué. La méritocratie reste un leurre. Elle a existé à une époque, mais plus à l’heure actuelle. Dans votre roman, je trouve qu’il y a un véritable clivage entre la Provence et la capitale, non?

Marc Desaubliaux 

Oui, vous avez raison. Dans le roman, l’action se déroule dans une petite ville de province. C’est une petite ville qui est repliée sur elle-même depuis très longtemps. Notamment, les notaires de la ville, ont commis la faute historique de refuser le passage du train. Du coup, la ville s’est complètement endormie sur elle-même. Elle a repris un peu de vigueur grâce à l’autoroute, grâce à Roissy-En-France qui est à côté. Mais les blocages sociaux sont toujours présents.

FL/Feat-y:

Tout Le charme de vos personnages réside dans le fait qu’ils reflètent vraiment les clivages, et qu’ils exposent leur propre complexité. Il y a un véritable fossé existant entre l’apparence qu’ils donnent et leurs désirs profonds. Ils sont fixés dans une vie dictée par les normes. En cela, on retrouve l’essence de personnages tels qu’une Madame Bovary ou encore une Laura Brown dans “Les heures”. Est ce que vous souhaitiez vraiment mettre en exergue la dualité qui existe dans chaque personne? 

Marc Desaubliaux:

Aussi, oui. Chaque personne est extrêmement complexe. Nous sommes complètement différents suivant les situations ou les personnes. Évidemment, dans cette vieille bourgeoisie, en plus provinciale, les apparences sont primordiales. Et, on se retrouve effectivement dans la même situation que Madame Bovary. Mais, l’histoire de l’apparence existe plus ou moins dans tous les milieux. On ne va pas parler de l’aristocratie pour qui, l’apparence était une deuxième nature. Ils avaient tellement l’habitude de vivre dans leur château, devant leur personnel, leurs gens, comme ils aimaient les appeler que l’apparence n’était absolument pas un problème. 

FL/Feat-y:

Ne pensez-vous pas que Marceline, à une époque différente, pourrait s’apparenter, en quelque sorte, à un Lucien de Rubempré des temps modernes, du roman “illusions perdues” de Balzac?

Marc Desaubliaux:

Balzac, je connais très bien. Il y a effectivement un côté Lucien de Rubempré chez elle. Elle vise loin. C’est la petite banlieusarde, de cette petite ville de province, qui est fascinée par ce monde qui n’est pas le sien et dans lequel elle souhaite absolument se faire sa place. Et en définitive, elle y arrive. Et puis tout bascule. 

FL/Feat-y:

Quand on regarde chacun des personnages. Et ce, que ce soit Marceline ou France. On se rend compte que la formation du jeune adulte avec ses blessures est central dans votre roman. Pensez-vous que ce passage de l’adolescence à l’adulte est un moment pivot pour la personne en devenir ? Et c’est ce qui a altéré chacun de vos personnages? 

Marc Desaubliaux:

J’ai beaucoup écrit sur l’adolescence. La plupart de mes livres parlent de l’adolescence.  Je pense qu’effectivement, c’est la clé de tout. Et, comme je le disais dans un de mes livres, “l’adolescence c’est tout, après on ne fait que survivre sur ce qu’on a hérité de l’adolescence” Alors quand c’est raté, on rame. Mais c’est le moment crucial où tout se joue. Dans mon livre précédent, “Un homme sans volonté”, l’histoire est centrée sur un jeune qui rate complètement son adolescence. Le sujet m’intéresse énormément.

FL/Feat-y:

Sans révéler l’intrigue, le poids du secret et ses conséquences inévitables, est aussi central dans votre roman?  

Marc Desaubliaux:

Il y a beaucoup de secrets, au final, dans ce roman. On s’aperçoit que derrière les apparences, il peut y avoir une réalité surprenante. Ce sont des milieux que je connais relativement bien. Ce type de secret n’est pas si surprenant. Les familles, d’ailleurs, se battent pour que rien ne fuite. Mais il ne faut pas se leurrer, tout finit par se savoir un jour ou l’autre. 

FL/Feat-y:

Le roman, en général, est très visuel. Par exemple, quand France se balade dans Paris ou lorsque vous décrivez Rougemont, que vous avez calqué sur Senlis, on ne la connaît pas, mais on l’imagine très bien. Vous n’avez jamais imaginé faire un scénario? 

Marc Desaubliaux:

Ah non, pas du tout, c’est pas du tout mon truc. Je n’y pense même pas.  En revanche, je suis très observateur. je passe beaucoup de temps à Paris, par exemple, à me promener, à aller à droite à gauche. J’observe beaucoup ce qu’il se passe autour de moi. Je trouve que les gens ne s’attardent pas sur les choses qui peuvent m’interpeller. Dans le métro, à Paris, les visages sont tous plongés dans un smartphone ou éventuellement dans un journal, rarement dans un livre. Pourtant le métro regorge de choses passionnantes à regarder.  Les gens passent complètement à côté. Pour illustrer mon propos, je me souviens de cette fois ou, sur une avenue parisienne, un monsieur se promenait avec un singe sur son épaule. C’est frappant quand même! Pourtant, personne ne le voyait. 

FL/Feat-y:

Je vais finir sur sur sur cette dernière note car je sais que vous êtes mélomane. Si le livre Marceline ou le monde des autres était était un morceau de musique, vous choisiriez lequel ?

Marc Desaubliaux:

Difficile. Drôle de question. C’est une vraie colle!

je serai enclin à vous dire que je verrai cette histoire dans le cadre d’un concerto, avec un genre de duel  entre le piano et l’orchestre. L’orchestre étant la ville, et, la pauvre Marceline s’acharnant sur son piano pour arriver à se faire entendre et à exister.

Sans doute, le concerto en Fa de Gershwin. 

Marceline ou le monde des autres, Marceline Desaubliaux, Les Edition des auteurs de Livres