Comment renouveler la démocratie française, bien en panne depuis plusieurs années ? Face à cette question, l’association Tous élus propose des formations gratuites pour des citoyens et citoyennes qui veulent se lancer en politique et faire valoir leurs idées, notamment à l’approche des élections législatives de 2022. Pour Feat-Y, Audrey Fortassin, Directrice de l’association, explique le fonctionnement de l’association, des formations proposées auprès des « oubliés de la démocratie » et souligne le rapport distant entre Tous élus et les partis politiques. Interview.

Feat-Y : Comment est venue l’idée de Tous élus et quels objectifs se fixe l’association ?

Audrey Fortassin : Tous élus est une association qui s’est créée en 2018, à la suite des élections législatives de 2017, sur un constat d’abstention massive chez les jeunes, en l’occurrence 74% des 18-30 ans ne sont pas allés voter au second tour des élections législatives. Ça a donné envie à un groupe de jeunes, justement, qui étaient assez investis dans de l’associatif, dans la politique, de se rassembler. Ça a commencé par des « raclettes démocratiques », en se disant : « Qu’est-ce qu’on fait pour redonner envie aux jeunes de s’impliquer en politique ? ». L’idée est venue en constatant qu’il y a une déconnexion entre les jeunes, les citoyens et les politiques. 

L’objectif de l’association, c’est de travailler sur cette déconnexion en sensibilisant, en mobilisant et en formant. Aujourd’hui, ce que disent les jeunes quand on leur demande pourquoi ils s’abstiennent, pourquoi ils ne s’engagent pas en politique, ils répondent qu’ils ne se sentent pas représentés, pour la plupart, parce que les personnes élues aujourd’hui ne sont pas, ou peu, représentatives de la population française. Je pense qu’on ne va pas revenir sur les chiffres. L’idée, c’est d’aider les jeunes, les femmes, les oubliés de la démocratie. Tous ceux qui ne sont pas présents sur les bancs de l’Assemblée nationale, qui ne sont pas dans les mairies, qui ne sont pas dans les conseils régionaux, on veut les former et les aider à se présenter puis à se faire élire.

Feat-Y : Comment vous analysez l’indifférence de l’électorat qui s’observe à travers l’abstention, comme durant les régionales et départementales de juin dernier, et quelles propositions sont faites par Tous élus pour réduire ce boudage des urnes ?

A.F : L’abstention s’explique de différentes manières. Quand on va au contact des jeunes, il y a le problème de la représentation, qui n’est pas le seul problème. Le deuxième problème est « à quoi servent les représentants aujourd’hui ? ». C’est un problème bien plus grave, d’après moi, impliquant de réexpliquer comment fonctionnent les institutions françaises et à quoi servent les élus, parce qu’il y a une certaine fracture entre les élus et les citoyens. Mais pas tous les élus. Quel que soit leur bord politique, il y a plein d’élus qui s’engagent, qui font plein de choses sur leur territoire pour leurs citoyens. Mais il y a une fracture. Les citoyens ont du mal à comprendre le rôle de ces élus. Et on identifie un troisième gros enjeu : la fracture numérique. On n’est pas informé sur les dates, sur la possibilité de voter sans carte d’électeur, sur comment faire une procuration. Ce n’est pas marrant pour un jeune d’aller dans un commissariat faire une procuration. Il y a plein de blocages techniques qui nous sont remontés sur le terrain. Tout cela s’accumule et fait qu’il y a une espèce de flou ambiant sur les périodes électives. Résultat, les gens ne vont plus voter que pour l’élection présidentielle parce que, il faut le dire malheureusement, il y a une partie des médias qui pousse beaucoup sur la présidentielle et qui fournit très peu d’informations sur les autres types d’élections. Nous, on essaie de pallier ça.

On propose donc d’expliquer le rôle des institutions, de parler des échéances électorales, de comment on fait pour aller voter, sur le terrain et pas seulement sur les réseaux sociaux car il faut pouvoir discuter, aller au contact avec les jeunes, pour les mettre en confiance. 

On a également mis en place une formation, gratuite, pour les citoyens qui veulent se lancer en politique, leur permettant de savoir comment faire une campagne politique, comment trouver des financements, comment monter une équipe, et ainsi les aider à se faire élire. C’est ce qu’on a fait pour les municipales, les régionales et c’est ce qu’on va faire, je l’espère, pour les législatives de 2022.

Audrey Fortassin (Tous élus) : « L’idée, c’est d’aider les jeunes, les femmes, les oubliés de la démocratie »

Feat-Y : À l’approche de l’élection présidentielle et des élections législatives de l’an prochain, comment se positionne Tous élus face à ces deux échéances majeures ?

A.F : C’est une grande question qui est en train d’être discutée. Ça me permet de dire que Tous élus est une organisation apartisane. C’est-à-dire que nous ne soutenons aucun parti politique en particulier et inversement. Notre objectif n’est pas de soutenir un parti et pourtant, on ne rejette pas les partis politiques. On a envie de travailler main dans la main avec eux puisque les partis politiques, au final, peuvent influencer en grande partie le travail qu’on fait, en ouvrant la porte à de nouvelles personnes, des anonymes, des jeunes.

On ne fait pas de la formation pour que les jeunes deviennent président de la République. En revanche, on cherche à sensibiliser sur ces élections, à expliquer l’importance de regarder les programmes, de s’informer, sans faire de prosélytisme puisque ce n’est pas notre place. Pour les législatives, c’est différent car je vous ai dit qu’on fait de la formation politique. Là, on accompagne des jeunes qui veulent se porter candidats et candidates pour les législatives de 2022. On est dans une démarche ouverte de discussion, avec les organisations qui se positionneront comme nous sur des circonscriptions en 2022, avec les partis politiques qui, je l’espère, laisseront une place à ces jeunes qui ont envie de prendre la relève, qui ont envie de s’engager, de se lancer, pour servir leur pays, tout simplement.

Feat-Y : Comment fonctionne financièrement l’association Tous élus ?

A.F : C’est une association loi 1901 qui fonctionne à travers deux types de financement. Les financements propres et les financements extérieurs. Les financements propres sont 100% citoyens. C’est-à-dire des dons des sympathisants, des bénévoles, des personnes qui sont autour de nous et qui soutiennent notre action. On a des donateurs récurrents mais aussi des donateurs sur des projets spécifiques. Assez récemment, on a fait appel au financement du public pour pouvoir organiser des weekends présentiels de formation, pour faire en sorte que les futurs candidats et candidates se rencontrent. On fait aussi de la formation à la citoyenneté. On a conçu des jeux qui font de l’éveil à la citoyenneté, sur des temps longs de deux à trois heures, nous permettant d’intervenir dans des écoles, des prisons, avec les missions locales, avec différentes organisations qui ont besoin de faire de la formation en interne sur ces thématiques.

La deuxième partie de nos financements vient de fonds publics ou privés. Soit on est financé par des appels à projet publics sur des thématiques de citoyenneté, d’éducation populaire, de politique de la ville. Soit des financements privés qui proviennent de fondations qui financent l’essor de la démocratie dans le monde.

Feat-Y : Vous proposez des formations permettant à n’importe quel citoyen de pouvoir se lancer en politique. Quels sont les principaux contenus proposés et quel est le financement pour y participer ?

A.F : Ce sont des formations qui sont gratuites. Aujourd’hui, c’est animé en semi-présentiel avec des coachs, des intervenants experts et tout cela bénévolement ! C’est limité en termes de places car on ne peut pas accueillir 100.000 personnes parce qu’on n’a pas la force de produire autant d’animateurs et d’animatrices que ça. En revanche, les formations sont gratuites, avec des critères de quotas de personnes que l’on souhaite accompagner, qu’on appelle les ‘oubliés de la démocratie’. À savoir ceux qu’on voit le moins sur les bancs des assemblées, des mairies. Des femmes, des jeunes, des personnes issues de zones rurales et périurbaines, des ouvriers, des employés, des étudiants, des gens au chômage, des gens des DOM-TOM, des handicapés, etc. Tous ces profils qui sont très peu visibles, peu représentés, on leur donne la priorité sur nos formations pour être accompagnés. Le format a évolué au cours du temps. On a eu de la formation 100% en ligne, sous format de vidéos. Puis un accompagnement présentiel sur les weekends. Aujourd’hui, on a un format qui s’est construit sur huit semaines de formation, avec une thématique par semaine, en semi-présentiel et en semi-distance, qui permet de voir tous les aspects essentiels à la future vie d’un élu. On travaille sur les freins, les motivations, la communication lors d’une campagne, la constitution d’une équipe, les financements d’une campagne, la connaissance des institutions. On travaille également sur les thématiques de media training, de prises de parole en public, la connaissance de la circonscription, l’analyse du territoire pour pouvoir mettre en place des partenariats et puis faire une bonne campagne, puisque c’est l’objectif final.

Feat-Y : Combien de personnes ont suivi ces formations depuis le début de Tous élus et comment cela se répartit au niveau social, géographique, démographique ?

A.F : C’est une question bien précise. Je vais répondre le plus précisément possible. Sur les différentes formations, il y a plusieurs milliers de personnes qui ont été formées depuis 2018. Je vais vous donner le détail par typologie de formation pour que ce soit un peu plus parlant. Pour les municipales, on a accompagné 3.000 personnes. 200 d’entre elles se sont présentées et 80 ont été élues sur des listes municipales, en tant que maire ou conseiller municipal. Sur cette première formation, la moyenne d’âge était de 32 ans. Ça allait de 18 à 82 ans. C’était assez réparti entre femmes et hommes. Les critères socio-démographiques étaient moins satisfaisants pour nous, selon ce que nous avons pu faire pour les législatives, parce que la communication a été extrêmement digitale et que la formation a été un peu digitale.

Sur les législatives, on accompagne symboliquement 577 jeunes, et moins jeunes d’ailleurs. Sur ces 577 personnes, nous avons 60% de femmes, 75% de 18-30 ans, 95% de primo-candidats ou primo-candidates, c’est-à-dire des personnes qui n’ont jamais candidaté pour une élection auparavant. Nous avons 24% d’étudiants, 17% d’ouvriers, plus de 50% qui viennent de zones rurales ou périurbaines. Ces critères-là, pour nous, sont extrêmement importants puisque le focus que l’on voulait faire, c’est sur les jeunes, les femmes, les primo-candidats et surtout aller chercher des personnes qui ne sont pas sur les bancs de l’Assemblée, composée principalement des CSP+ venant des grandes villes. En gros, c’était ça l’objectif.

Feat-Y : Vous indiquez ne pas être lié au moindre parti politique existant en France mais est-ce que les partis politiques ont cherché à vous contacter ces derniers temps, par rapport à telle personne ayant suivi une de vos formations ?

A.F : Très peu. C’est là tout le problème et l’appel que l’on fait aux partis politiques. Il faut renouveler les investitures ! Nous avons besoin des partis politiques car ils font partie de la vie politique, de la démocratie. Ce sont eux qui doivent y participer, en grande partie. Ce qu’on pense, c’est qu’ils doivent accueillir de nouvelles personnes, et pas seulement celles qui vont entrer en tant que militants. Il faut des personnes qui vont être formées, prêtes à prendre une position élective. Les partis politiques ne viennent pas assez, malheureusement, à la sortie de la formation, récupérer les profits. Cependant, il y a certains partis politiques qui ont montré de l’intérêt à des candidats, qui ont proposé de présenter le fonctionnement d’un parti politique. Globalement, nous sommes plutôt ravis que les partis politiques viennent nous voir et nous proposent de prendre des candidats ou des candidates. 

Le défi supplémentaire est de ne pas avoir des candidats ou candidates placés dans des circonscriptions qui sont perdues d’avance, mais bien de leur donner une chance. C’est ce pourquoi on milite ! C’est-à-dire une investiture où le parti politique qui suit le candidat ou la candidate soutient la candidature. Voire, pourquoi pas, une coalition de partis derrière un candidat ou une candidate.

Mais il y a aussi très peu de médiatisation, volontairement de notre part, des candidats et candidates jusqu’à présent. Elle va commencer en cette rentrée, vu que les médias commencent à s’intéresser aux candidats et candidates. Donc, ça va faire évoluer les rapports et les discussions que nous allons avoir avec les partis politiques à partir de maintenant, en tout cas je l’espère.

Feat-Y : Est-ce que les réflexions portées par Tous élus tiennent à s’inscrire dans le cadre de la Ve République ou y a-t-il des réflexions sur un changement vers un autre régime républicain, via une assemblée constituante par exemple ?

A.F : On n’est pas du tout positionné sur cet aspect-là, qui est très programmatique. Ce n’est pas, aujourd’hui, notre place de discuter de ces aspects. Ça me semble être assez partisan. De notre côté, il n’y a pas d’avis particulier.

Feat-Y : Est-ce que les participants aux formations de Tous élus émettent également des réflexions sur l’idée de démocratie représentative ou de démocratie directe ? Si oui, comment sont-elles débattues et reprises dans les formations proposées par Tous élus ?

A.F : Ça fait un peu écho à la précédente question car on ne fait pas de programmatique dans les formations, puisque ça nous semble important de laisser à chacun la liberté de construire sa réflexion autour des sujets abordés sur le débat politique. En revanche, effectivement, il y a des candidats et des candidates qui ont des profils très différents, avec des opinions politiques différentes, qui vont avoir des idées particulières. Notre rôle est de leur donner des inspirations, des méthodes pour débattre, construire un programme, connaître les méthodes de consultation citoyenne, etc.
Globalement, les candidats et candidates sont dans une volonté de voir évoluer le système démocratique, de voir les pratiques politiques, démocratiques, évoluer et vont porter des mesures allant dans ce sens-là. Que cela soit dans les modèles électifs de votation, dans la mise en place d’assemblées constituantes ou de conventions citoyennes, etc. Tout cela sera assez personnalisé, en fonction de la personnalité de nos candidats et candidates. Et on les laisse libres, évidemment, d’explorer les options qui leur semblent les plus en accord avec leurs convictions.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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