Il était un jardin où l’on philosophait. Sur l’herbe, entre les oliviers, près d’Athènes, vers -300 ; hommes, femmes et esclaves discutaient. Le jardin, c’était l’académie fondée par Epicure. En voyant ce tableau idyllique, on s’imagine un être sociable, tolérant, tourné vers les autres.
D’un autre côté, on se représente souvent Epicure comme un homme débauché, qui aime profiter de la vie. Ce n’est pas exactement cela. La philosophie d’Epicure est certes tournée vers le bonheur et le plaisir, mais ceux-ci ne reposent pas dans l’excès. Comme toutes les philosophies antiques, la philosophie d’Epicure a pour objectif la recherche de l’ataraxie, c’est-à-dire de l’absence de troubles. Celle-ci se trouve dans les plaisirs simples et surs de la vie : un chaleureux rayon de soleil ou un morceau de pain pour combler la faim suffisent à satisfaire un épicurien.
Tout chez Epicure est dans la mesure puisqu’il ne faut pas tout avoir pour apprécier ce que l’on a. Ainsi, il ne faut pas faire un festin quotidien mais se contenter de ne manger que de quoi se rassasier, la nourriture étant plus appréciable ainsi. Dans un sens, on pourrait dire qu’Epicure privilégie la qualité à la quantité, ce que nous faisons aussi chez feat-y !
Le jardin d’Epicure, en tant que lieu de discussion, nous pousse à la rencontre et donc à l’amitié. C’est surtout oralement qu’il transmettait sa philosophie. Ajoutez à cela l’œuvre du temps et ce n’est plus qu’un très petit corpus de texte qu’il nous reste pour connaitre sa pensée. Ses disciples, tels que Lucrèce, sont également une bonne source. Ils ont transmis à l’écrit l’enseignement de leur maitre.
Peut-être n’avez-vous aucune idée de ce à quoi peut bien ressembler la philosophie d’Epicure. C’est normal. Vous n’êtes pas la ou le seul.e. Ce n’est pas le plus connu des philosophes, ni le plus simple.
A vrai dire, cet article m’a donné du fil à retordre. Epicure parle finalement assez peu de l’amitié. L’intégralité de son œuvre ne représente déjà pas un volume très conséquent : quelques lettres et maximes. Dans ces textes, seules quelques lignes sont dédiées à l’amitié. Du peu de textes disponibles, j’ai d’abord tiré une vision assez pessimiste de l’amitié. Cela ne colle tout simplement pas avec la philosophie de cet auteur. Si certains philosophes, comme Kant, sont des tannées et ne donnent vraiment pas envie d’adopter leurs préceptes (mes excuses à mes amis kantiens mais vous connaissez mon opinion sur le sujet) ; Epicure adopte une philosophie de la joie.
L’amitié chez Epicure ne parait, dans un premier temps, qu’intéressée. Ses textes nous font apparaitre l’image d’un ami présent pour être utile en cas de besoin ; et ce n’est qu’en creusant un peu que l’on en tire une vision plus positive et qui colle plus à la pensée du philosophe.
Epicure peut apparaitre comme une sorte d’ermite. Il cherche volontairement à s’éloigner de la foule, et affirme que « la plus pure des sécurités est celle qui vient de la tranquillité de la vie à l’écart de la foule ». En réalité, il ne rejette pas toute relation avec l’autre, bien au contraire. Mais comme tout chez lui, il l’encourage dans la mesure. Ainsi, quelques amis sont préférables qu’une foule. Il laisse néanmoins une part importante à l’autre, à la rencontre, à l’échange. L’amitié est l’apanage du sage, « parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la félicité de la vie entière, de beaucoup la plus importante est l’amitié » ; nous dit-il.
Le jardin d’Epicure est avant tout un lieu de discussion et d’amitié philosophique. La relation humaine est, chez lui, très précieuse. Mais la qualité en importe plus que la quantité.
Comme toute chose chez Epicure, l’amitié est supposée mener à l’ataraxie ; en ce sens elle doit procurer du plaisir. C’est un plaisir, déjà, que de voir son ami, c’est d’ailleurs pour cela que l’on devient ami. L’amitié offre un échange, elle permet de compter sur l’autre mais également de dialoguer. C’est d’ailleurs le principe qu’il avait instauré dans son jardin. Dans cet espace idyllique, hommes ; mais aussi, fait rare à l’époque, femmes et esclaves dialoguaient en toute amitié. Le jardin lui-même témoigne d’une philosophie de l’autre singulière pour l’époque.
Si Epicure est souvent vu comme un philosophe égoïste, sa philosophie ne renonce en réalité pas à toute morale. Le plaisir y est considéré comme principe et fin de la vie bonne. Dans cet ensemble, il définit l’amitié comme un besoin naturel et nécessaire. Les Epicuriens privilégient une conception positive des rapports humains. Ils vivent entourés d’amis, dans une communauté restreinte et en retrait de la vie publique. Epicure nous affirme même que c’est dans l’amitié que l’on trouve la plus pleine sécurité.
Nous pouvons avoir du mal à tirer une conclusion issue des écrits paradoxaux à propos de l’amitié chez Epicure et les épicuriens. Mais en réalité, ces écrits ne parlent pas d’une seule forme d’amitié mais de trois. L’amitié, d’abord, peut être vue comme une relation utilitaire. C’est cela qui me posait un problème au début de la rédaction de cet article. Dans ce cas, elle ressemble à une relation contractuelle qui implique un engagement réciproque à se venir en aide. Mais elle peut également être une forme d’affection réelle et désintéressée entre deux amis, dans ce cas elle procurera des plaisirs tels que celui de voir son ami. Là encore, on trouve quelque chose de singulier. Enfin, l’amitié peut également existentiel et radical. L’autre devient alors une condition de notre bonheur.
L’amitié n’est pas toujours réductible à un simple accord contractuel chez Epicure, finalement. Elle ne repose pas sur le profit de l’autre mais plutôt sur un engagement des affects. On partage nos joies avec nos amis, et qu’un ami soit heureux nous rend heureux. Dans la lettre à Idoménée, le souvenir des bons moments passés avec son ami rend la maladie supportable à Epicure.
En réalisant le bien de mon ami, je réalise mon bien propre. Le plaisir de l’amitié est produit non pas individuellement mais en communauté. L’ami est l’alter ego, on ressent ce que ressentent nos amis ; souffrances, mais aussi joies.
L’Amitié, finalement, est nécessaire au plaisir, : et le plaisir est nécessaire à la vie heureuse. Dans la lettre à Ménécée, Epicure conclut son portrait du sage en disant que le sage vit « comme un dieu parmi les hommes », et donc bien parmi eux et non pas sans eux.
Peut-être vous parlerons nous bientôt des belles rencontres avec l’autre.
Par Lola Lefevre