Parler pour que ça n’arrive plus jamais. Tel est le combat mené depuis de nombreuses années par Gilbert Duranton et sa famille. En 2015, sa fille Mathilde, en situation de handicap, est victime de viol. Cet événement aggrave sa maladie, qui l’emporte deux ans plus tard. Depuis, sa famille n’a de cesse de se battre contre les violences faites aux femmes handicapées en institution. Après un procès remporté contre l’APF France Handicap, créer quelque chose était une évidence pour dénoncer la légèreté de l’association face à de telles situations. Mais vous savez, votre fille a un joli minois ! est le dernier acte pour rendre justice et dignité à Mathilde, mais aussi pour tourner la page. Le 28 mai, le livre sera présenté à la librairie de Reillanne, aux côtés d’artistes dont les œuvres figurent à la fin de l’ouvrage.

Feat-Y : Pouvez-vous nous raconter votre histoire ?

Gilbert Duranton : Nous avons décidé d’attaquer en justice l’APF France Handicap. Nous nous sommes aperçus que ces grandes structures pratiquent l’omerta lorsqu’il est question du problème de la sexualité. Le 8 avril 2021, nous avons d’ailleurs gagné notre procès contre l’APF ! L’association a été condamnée pour manquement à la sécurité de notre fille. Néanmoins, nous ne voulons pas que l’histoire s’arrête là et disparaisse. Il faut que les langues se délient et que les personnels comme les résidents puissent discuter de ce sujet, comme ce fut le cas lors du mouvement #MeToo dans les milieux du sport, du cinéma et ailleurs.

Il est important pour nous d’apporter notre pierre à l’édifice. Étant plasticien, j’ai d’abord créé en juin 2019 une exposition en hommage à ma fille, « 36 PPM – 36 particules pour M ». Ma femme et moi-même devions parcourir les villes de France pour visiter toutes les maisons d’accueil spécialisées (MAS) gérées par l’APF, afin de coller mes découpes laser sur les murs. Nous voulions également rencontrer les personnels pour discuter avec eux, inviter les artistes des régions environnantes et la presse. Malheureusement, la Covid est arrivée. 

Cet hiver, nous avons alors décidé d’écrire un livre pour dénoncer ce qui est arrivé à Mathilde. Nous souhaitons notamment le diffuser auprès d’associations contre les violences faites aux femmes, de la presse, et des élus de la République.  

Feat-Y : Qu’attendez-vous de la parution de votre ouvrage ?

G.D. : Nous espérons que ce livre déclenche des enquêtes et des investigations, à l’APF France Handicap ou ailleurs ! Selon moi, de tels actes ont malheureusement lieu dans d’autres institutions pour personnes en situation de handicap. Il faudrait que les associations se rendent sur place pour interroger les personnels, et les soulager eux aussi en rétablissant la parole. J’en parle d’ailleurs dans le livre, mais nous avons découvert au cours de l’instruction que l’agresseur de notre fille avait déjà commis deux tentatives de viol au même endroit. La femme victime de ces deux agressions a porté plainte, mais cela a été débouté deux fois.

Le prédateur de ma fille a été déplacé dans une autre MAS de l’APF, mais il a tenté de violer une autre femme quinze jours après le viol de Mathilde. Ailleurs encore, un aide-soignant a aussi violé deux femmes. Il a été condamné, mais il avait déjà été accusé de viol des années auparavant. Il a été renvoyé puis réintégré. Il y a un réel problème ! Avant de porter plainte contre l’association, nous avons essayé de leur tendre la main pour enclencher le dialogue, les convaincre de rendre ces actes publics et tenter de trouver des solutions pour que ça n’arrive plus jamais. En vain…

Feat-Y : Quel a été le processus d’écriture ?

G.D. : C’était très bizarre dans mon cas ! Je suis d’ordinaire plus à l’aise avec l’ordinateur, et pourtant, j’ai pris des cahiers, avant de tout retranscrire. J’ai mis trois mois à écrire ce livre, mais tout était fluide, du début à la fin. Le récit s’est construit spontanément dans ma tête, au fur et à mesure de mes pensées. J’ai voulu démontrer le processus complexe qui a conduit au viol de ma fille, mais aussi la souffrance vécue par notre famille, et les conséquences d’un tel acte. C’est un livre émouvant, mais qui reste dans la retenue. Les choses sont dites comme elles doivent l’être, sans en rajouter.

Propos recueillis par Mélanie Domergue

Infos :

Pour soutenir la campagne Zeste : https://www.zeste.coop/fr/un-livre-pour-Mathilde