Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN
Le cannabidiol, communément appelé CBD, suscite une méfiance continue de la part des autorités françaises. Ce que déplorent les syndicats de professionnels du chanvre, défendant d’une même voix l’idée de développer une industrie française du CBD, qui serait génératrice d’emplois, comme l’affirme auprès de Feat-Y Mathieu Cochin, porte-parole de l’intersyndicale. Ce dernier estime que permettre la structuration d’une industrie française du CBD permettrait de concurrencer les producteurs suisses, italiens, allemands ou encore espagnols, qui lorgnent sur le marché français, qui est le principal marché européen. Interview.
Feat-Y : Pourquoi les syndicats de producteurs de CBD se sont regroupés en intersyndicale ?
Mathieu Cochin : Les organisations travaillant sur le CBD se sont regroupées en intersyndicale pour s’unir, avoir plus d’impact sur la filière, en général ; pour discuter ensemble sur la fiscalité et la réglementation de la filière, avec les pouvoirs publics. Ce sont des actions communes, juridiques. Elles se sont réunies pour donner de la visibilité à chacun des syndicats auprès du public de producteurs de la filière. L’objectif est d’aller à la rencontre des professionnels, de faire de la pédagogie, de discuter des grandes avancées sur le sujet, de montrer ce qu’est le métier en général, pour ceux qui n’ont pas encore monté leur activité et qui souhaitent obtenir des informations. C’est une volonté d’accompagnement, de transmission, de visibilité et de montrer aux pouvoirs publics qu’on est tous unis pour représenter la même filière.
On a, chacun, des axes différents. Pour ma part, l’UPCBD [Union des professionnels du CBD, NDLR], c’est le commercial. On représente les adhérents commerciaux qui ont des magasins, des sites e-commerce. On a aussi quelques producteurs et consommateurs. Il y a l’AFPC [Association française des producteurs de cannabinoïdes, NDLR] qui est principalement axée sur les agriculteurs, les producteurs. Puis on a le SPC [Syndicat professionnel du chanvre, NDLR] qui est le pionner au niveau des syndicats, avec un mélange de commerçants et de producteurs parmi ses membres, avec un côté transformation, mais aussi un côté textile pour le chanvre textile et alimentaire pour l’huile de chanvre, etc.
Feat-Y : Estimez-vous qu’en dépit de l’annulation, par le Conseil d’État, de l’arrêté interdisant la vente des fleurs et feuilles de cannabis, cette décision ne suffise pas à rassurer les producteurs de CBD ?
M.C : Cette décision est insuffisante pour rassurer les producteurs. Ce qui est positif, c’est qu’on nous enlève cette interdiction d’activité et de vente de fleurs brutes, qui aurait mis un coup terrible à la filière. Néanmoins, cela ne nous définit pas un cadre légal, un cadre fiscal. Ce qui fait que cette filière est très compliquée à structurer. Ce qui rend la compétitivité avec les pays européens encore plus difficile. À partir du moment où on a un cadre dans lequel on peut travailler, qu’on peut se développer, on peut devenir pérenne. Sinon, on est toujours dans un système de questionnements quotidiens, de rebondissements dans la communication du gouvernement ou des différents médias. On reste dans un climat d’incertitude.
Feat-Y : Comment la France se situe sur l’utilisation et la production du CBD par rapport aux voisins européens ?
M.C : Dans un premier temps, il faut savoir que le marché français, c’est le plus gros marché européen. Et plusieurs pays européens, tels l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas ou encore la Suisse, produisent en réalité à destination de la France, et non pas pour leur propre consommation interne, même si elle existe. La France, en raison de ce manque de cadre, est un peu pénalisée. Ne serait-ce que pour les variétés proposées. Comme on a beaucoup de retard en matière de pédagogie, de compréhension sur ce qu’on pourrait faire avec la plante, du fait de l’amalgame du cannabis récréatif, on n’a pas encore développé une filière pérenne. Par contre, ce qui nous différencie des autres pays européens, c’est qu’on a une filière majoritairement bio, avec une production de qualité, en grande majorité. Ce qui nous manque, c’est une visibilité et un cadre. Le jour où on aura cette visibilité et ce cadre, on reprendra des parts de marché et on pourra enfin parler de filière dans notre pays.
Si je devais faire un comparatif, on n’a pas les mêmes échelles de temps, la même organisation, la même mentalité que dans les autres pays.
Feat-Y : Quel est le poids économique de la production de CBD en France ?
M.C : Il est très difficile de donner des chiffres, une dynamique sans se planter. C’est un marché qui est très jeune. Et comme il n’est pas encadré, ni pris au sérieux par le gouvernement, on n’a pas de chiffres. Tout ce qu’on sait, c’est que ça complémente des activités déjà existantes. Il s’agit souvent de producteurs qui ont déjà une exploitation, se mettant à faire du CBD parce qu’ils ont des terres et qu’ils ont des profils d’agriculteurs qui leur permettent de produire. On a des créations d’entreprises, d’emplois générés, mais donner des chiffres sans certitude serait orienter vers n’importe quoi.
Ce qui est sûr, c’est qu’on a un exemple. Au Canada, depuis 2018, une réglementation a été trouvée. Dans un article de la revue The Weed, ce serait 15 milliards de dollars de recettes fiscales pour l’État et 150.000 emplois générés avec l’industrie du cannabis. On peut s’attendre à un effet proportionnellement similaire en France.
Feat-Y : Quelles revendications portez-vous pour une réglementation du CBD dans l’Hexagone ? Estimez-vous, à terme, qu’une légalisation du cannabis, dont le CBD est un dérivé, serait nécessaire ? Si oui, pour quelles raisons ?
M.C : La revendication du secteur professionnel serait d’avoir une concurrence loyale envers nos collègues européens, qu’ils soient d’Italie, de la Suisse, etc. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Par exemple, la Suisse se voit financer l’industrie par son gouvernement. On vit dans un monde libéral. On fait partie de l’Europe. On est pénalisé par ce manque de structure et d’encadrement au niveau fiscal. Ce qui ne nous permet pas d’avoir des prix compétitifs par rapport aux autres. Néanmoins, on a un coût qui est celui que l’on connaît en France. On a une qualité qui celle qu’on a aussi. C’est pour ça qu’on essaye de mettre en place un label de qualité. C’est peut-être par là qu’on va faire la différence. Ce qu’on aimerait revendiquer, c’est le potentiel d’emplois, de chiffre d’affaires, le potentiel dans le secteur du bien-être que pourrait générer cette nouvelle industrie. Dans le monde actuel, post-Covid, dans un contexte d’inflation, je ne crois pas qu’on pourrait se passer d’une industrie de cette ampleur. On a besoin d’emplois, on a besoin de perspectives d’avenir et je pense que ce secteur pourra répondre à tout ça.
Pour répondre à votre autre question, je ne pense pas qu’une légalisation pure et simple de la détention de cannabis serait la solution. Je pense que continuer sur la voie, initiée il y a trois-quatre ans, sur la pédagogie autour du CBD, des molécules, du professionnalisme quant à l’utilisation, les préconisations, est la meilleure solution. Une dépénalisation, au sens large, ne réglerait pas grand-chose, en termes d’accoutumance, de problématiques liées à l’aspect psychologique du THC [Tétrahydrocannabinol, NDLR]. On sait que dans les produits illégaux, les teneurs en THC sont extrêmes. Je pense qu’une évolution du taux de THC vers 1% serait une solution. Après, il y a plusieurs types. En Allemagne, le côté thérapeutique a été dépénalisé. En pharmacie, on peut se fournir avec une prescription médicale. Je pense que c’est un sujet qui mérite d’être traité avec sérieux et je pense que la solution adoptée par la filière, qui est en train de se construire en France pour le CBD, est la bonne. Mais c’est un travail qui doit être fait en collaboration avec les professionnels, les syndicats et le gouvernement, pour potentiellement aboutir, un jour, à quelque chose pour la légalisation du cannabis. Mais c’est un sujet sérieux et à traiter avec précaution.