Par David Xoual

En 2021, l’écrivain Philippe Jaenada revenait sur la mort du petit Luc Taron, 11 ans, retrouvé mort dans un bois de l’Essonne. Un fait divers sordide, un coupable trop parfait, les années soixante et l’émergence de la bête médiatique, des zones d’ombre à ne plus savoir quoi en faire… Un cocktail idéal pour le lauréat du prix Femina…  

Philippe Jaenada est ce qu’on pourrait appeler un ours littéraire, docteur ès fait divers. Et quand un sujet lui tient à cœur, quand il sent l’injustice, qu’un truc cloche, la bête sort du bois (ou plutôt de son appartement parisien) pour explorer le bois de Verrière où un petit garçon a trouvé la mort il y a presque 60 ans. A l’époque, l’affaire truste les Unes des journaux avec en toile de fond la naissance de notre société actuelle : consumériste, avide de sensationnel, prompte à juger. Les jours qui suivent la mort, un mystérieux corbeau revendique le crime, signant ses missives, l’Étrangleur. Le quidam s’appelle Lucien Léger. Il va être jugé sans sommation (et sans mobile apparent, sans témoin…) et prendre perpette pour devenir le plus ancien détenu de France en passant 40 piges derrière les barreaux. Le problème, c’est que Lucien ne semble pas coupable. Tout juste a-t-il écrit les lettres anonymes pour défendre le vrai coupable, ou simplement donner un peu de piquant à sa pauvre vie. Car derrière ce crime se dévoile toute une époque, des destins brisés, ceux des petites gens… Au fil des pages et des digressions chères à Jaenada où il nous parle de ses problèmes de santé, de la clope électronique, l’auteur mène une enquête sérieuse et fouillée où le passé de tous les protagonistes est passé au crible. Et il y a de quoi faire. Parce que tout le monde ment. Les parents de la victime, les témoins, les journalistes, les suspects, la justice… Il y a ceux qui s’inventent des vies héroïques de résistants que l’on retrouve finalement mêlés à la collaboration, celles qui jurent n’avoir connu qu’un homme dans leur vie, la figure du père ayant perdu son enfant condamné pour une affaire de mœurs peu reluisante. Il y a également des personnages dignes d’un film de Tarantino ou de Broca comme Madame Détective. On dirait du cinéma, pourtant tout est vrai. Comme à son habitude, Jaenada s’appuie sur des documents de justice, des témoignages, distille des informations au gré de son envie de jouer avec le lecteur, l’amuse à travers sa maitrise des parenthèses, le touche avec son humanisme… Car Jaenada ne juge pas, il essaye de comprendre. 

Au printemps des monstres, Philippe Jaenada, Points