Les images de l’éruption du volcan sous-marin Hunga Tonga, le 15 janvier dernier, ont fait le tour du monde, tant elles impressionnent. Mais quelle interprétation peut-on en faire ? Pour Feat-Y, le volcanologue Jacques-Marie Bardintzeff, professeur à l’université Paris-Saclay, souligne combien une pareille éruption se produit tous les 10 ans, que des éruptions ont été bien plus puissantes et influentes sur l’atmosphère par le passé, que le nombre d’éruptions volcaniques annuelles reste stable ; de même qu’il y a peu de liens entre activité volcanique et changement climatique et que l’impact d’une éruption sur le climat est limité dans le temps et l’espace. Interview.

Feat-Y : Quels effets ont pu être observés jusqu’à présent par rapport à l’éruption du volcan sous-marin Hunga Tonga, le 15 janvier dernier ?

Jacques-Marie Bardintzeff : Le volcan fait partie de l’écosystème. Il est vrai que cette éruption est très importante en volume de produits émis, en énergie libérée. Beaucoup d’îles de l’archipel ont été touchées, des écosystèmes ont été détruits, aussi bien terrestres que marins. Ce sont de gros dégâts suite à des retombées de cendres qui sont polluantes. Il y a eu aussi un tsunami. À l’échelle locale, il y a eu de gros dégâts du point de vue de l’écosystème. Cela s’est également traduit par des effets plus lointains parce que le tsunami a traversé le Pacifique, créant des vagues qui ont eu des répercussions sur des côtes éloignées. Par exemple, un pétrolier a été emporté par une vague au niveau du Pérou, créant une marée noire, donc de gros dégâts sur une partie du Pacifique. On déplore 3 morts aux Tonga et 2 morts au Pérou.

Au niveau planétaire, c’est moins évident. Les grosses éruptions, paradoxalement, refroidissent la température globale car elles injectent dans la stratosphère des particules de cendres et des aérosols de gaz acides qui filtrent une partie des rayons solaires. Dans le cas des Tonga, cela a été observé parce que la colonne est montée jusqu’à une vingtaine de kilomètres, jusque dans la stratosphère. Mais ce n’est pas parmi les éruptions les plus importantes jamais enregistrées. Au niveau du climat, on va dire qu’il y aura une « micro-baisse » de la température à peine perceptible. 

crédit photo @Bardintzeff

Feat-Y : Peut-on craindre d’autres effets de cette éruption dans les jours ou semaines à venir ?

J-M.B : À l’échelle locale, on sait ce qui s’est passé. On va laisser la nature faire son œuvre, reconstituer les écosystèmes terrestres et marins. S’il n’y a pas d’autres explosions, ce qui n’est pas à exclure, on va dire que les effets sont maintenant connus. Les effets de refroidissement, au niveau mondial, seront très faibles et vont s’amortir sur l’année. Ce sera moins d’un dixième de degré.

Feat-Y : Est-ce que cette éruption fait partie des plus puissantes jamais enregistrées sur Terre, étant donné que la NASA estime que la puissance énergétique déployée par cette éruption est comprise entre cinq et 30 millions de tonnes de TNT, soit plusieurs centaines de fois la bombe atomique larguée sur Hiroshima en 1945 ?

J-M.B : C’est une éruption importante à l’échelle des 10 dernières années. Peut-être même la plus importante sur ces 10 dernières années. Mais pas la plus importante au niveau des derniers siècles. On a précisé que la colonne éruptive est montée jusqu’à 20 kilomètres de hauteur. Pour mémoire, l’éruption qui avait eu lieu au Pinatubo, aux Philippines, en 1991, avait vu une colonne monter jusqu’à 40 kilomètres de hauteur. La plus grande éruption historique est celle du Tambora en 1815, en Indonésie, qui avait duré une semaine et qui avait libéré plus de 100 kilomètres cube de matériel magmatique. Celle du Hunga Tonga correspond à une éruption que l’on connaît tous les 10 ans en moyenne.

Feat-Y : Avec vos collègues volcanologues, avez-vous recensé une activité volcanique plus intense sur la planète ces dernières années ? Si oui, quels en seraient les facteurs ?

J-M.B : C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’éruptions qui ont été médiatisées récemment. C’était le cas en Islande, aux Canaries. Il y en a eu d’autres dont on a parlé, comme en Indonésie, aux Galápagos et dans différents pays. On a l’impression qu’il y a une recrudescence volcanique. C’est un peu trompeur. C’est juste que ces éruptions particulières ont été très médiatisées. C’est bien que les médias parlent des éruptions parce que les gens veulent savoir et comprendre. On ne s’en rend pas toujours bien compte mais à l’échelle mondiale l’activité volcanique reste régulière. On dénombre une cinquantaine d’éruptions par an dans le monde sur les continents. C’est ce qui se passe actuellement, ni plus ni moins. Il faut savoir qu’une éruption comme celle qui a eu lieu en Islande a été longue de 6 mois mais n’a pas fait beaucoup de dégâts. Celle qui a eu lieu aux Canaries a occasionné beaucoup de dégâts matériels mais c’est une éruption qui est restée locale.

crédit photo @Bardintzeff

Feat-Y : Quelles sont les régions du monde affichant le plus grand risque d’exposition face à une ou plusieurs éruptions volcaniques ? Est-ce que les conséquences potentielles seraient pire que celles que connaissent les Îles Tonga après l’éruption du Hunga Tonga ?

J-M.B : La répartition des volcans est bien connue. Il y a un peu plus de 1.500 volcans qui sont potentiellement actifs sur les continents. Leur position est liée à celle des plaques lithosphériques qui se déplacent à des vitesses géologiques de quelques centimètres par an. La grande majorité des volcans sont des volcans inter-plaques, c’est-à-dire situé à la limite entre deux plaques. Il y en a, bien sûrs, certains, plus rares, qui sont intraplaques comme à Hawaï ou à la Réunion. Mais la grande majorité sont inter-plaques et les plus explosifs d’entre eux se situent autour du Pacifique. C’est la grande plaque Pacifique ou d’autres plus petites voisines qui plongent sous les plaques Amérique du Nord, Amérique du Sud, Philippines et Australie. Tout cela donne la « Ceinture de feu du Pacifique ». On part de l’Amérique du Sud, puis l’Amérique centrale, l’Amérique du Nord. Cela rejoint l’Alaska, le Kamtchatka russe, les îles Kouriles, le Japon, les Philippines, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les îles Tonga, les îles Kermadec, la Nouvelle-Zélande et la boucle est bouclée. C’est là que se passent la grande majorité des éruptions, responsables d’une grande quantité de victimes, malheureusement.

Feat-Y : Peut-on relier le changement climatique et l’activité volcanique et quel rapprochement peut-on en faire ?

J-M.B : Le rapprochement reste limité. L’activité volcanique résulte de l’activité interne de la Terre alors que le climat est lié à son activité externe. Ce ne sont pas les mêmes sphères qui interviennent. Dans le cas du volcanisme, il s’agit de la lithosphère. Dans le cas du climat, c’est plutôt l’atmosphère et l’hydrosphère. Les liens existent mais ne sont pas immédiats au niveau du réchauffement ou du refroidissement climatique. Les grandes éruptions volcaniques ont ponctuellement tendance à refroidir le climat. Ce qui pourrait apparaître comme une bonne chose. Mais comme c’est en une seule fois, d’un seul coup donc très irrégulièrement et ce n’est pas souhaitable. On préfèrerait des évolutions qui soient linéaires, régulières. De grosses éruptions peuvent produire un certain refroidissement, au niveau d’un hémisphère souvent. Celle du Pinatubo aux Philippines en 1991, avait induit une baisse de température de l’hémisphère nord de trois dixièmes de degrés qui s’était amortie sur trois ans.

Inversement, le réchauffement climatique a peu d’action sur les volcans. Le seul effet possible est lié à la fonte des calottes glaciaires et les volcans sous-glaciaires pourraient être alors un peu plus actifs comme par exemple en Islande. Mais cela reste modeste. Il n’y a pas de lien immédiat.

S’il y avait une catastrophe majeure, une super-éruption, comme il y a eu à Yellowstone il y a 630 000 ans, ce serait une catastrophe telle que sur l’hémisphère nord, on connaîtrait une baisse de la température de 10°C. Ce serait un « hiver volcanique » qui durerait une quinzaine d’années : une catastrophe écologique qui ne s’inscrirait pas dans une ligne régulière de réchauffement ou de refroidissement climatique. Une telle super-éruption, qui émet 1000 km3 de produits volcaniques, est 1000 fois plus importante qu’une éruption classique et donc, heureusement, 1000 fois plus rare. Les probabilités restent donc faibles.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Jacques-Marie Bardintzeff est volcanologue, professeur à l’université Paris-Saclay. Il est l’auteur du livre Volcanologue (éditions L’Harmattan, 2017).

Blog « Volcanmania » :

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