Depuis 2009, Ecosia se fait une place parmi les moteurs de recherche alternatifs par rapport au mastodonte qu’est Google. Un moteur de recherche écoresponsable, dont les revenus servent à financer des projets de reforestation, d’investissement dans des énergies renouvelables. Juliette Chabod, manager d’Ecosia en France, revient auprès de Feat-Y sur le modèle de cette entreprise du numérique, les objectifs en matière de soutien pour des programmes écologiques dans le monde, notamment dans des régions cherchant à maintenir la biodiversité et de réduction de l’impact environnemental. Interview.

Feat-Y : Comment est bâti le modèle économique d’Ecosia ?

Juliette Chabod : Ecosia fonctionne comme tout moteur de recherche. On génère de l’argent chaque fois qu’un utilisateur clique sur une annonce publicitaire. La grande différence est que l’argent qu’on récolte est reversé à des projets de reforestation qui sont situés en zone critique de biodiversité. On est un modèle à but non-lucratif. 80% de nos revenus financent ces projets de reforestation. Les 20% restants servent à financer des investissements dans des énergies renouvelables, notamment dans les panneaux solaires, au soutien de projets locaux. Par exemple, en France, on a soutenu des lancements de ferme en permaculture. On va venir soutenir certaines associations, etc. On est impliqué sur plusieurs projets au niveau environnemental et social.

Feat-Y : Est-ce qu’Ecosia est toujours en lien avec Bing, le moteur de recherche de Microsoft ?

J.C : Tout à fait. On est toujours en lien avec eux, pour plusieurs raisons. Comme tout moteur de recherche alternatif, on n’a pas les équipes et les ressources pour concurrencer à nous-mêmes Google. Aujourd’hui, à Ecosia, on est 80 pour 15 millions d’utilisateurs. C’est absolument énorme ! On n’a pas la force de créer nos propres algorithmes. C’est pour ça que Bing est notre partenaire de recherche. On est conscient qu’on a un devoir d’amélioration de résultats, dans le sens où on essaie d’ajouter des petites touches. La première chose qu’on a faite, c’est de créer le green search. C’est-à-dire qu’on vient indexer, à côté des résultats de recherche, des feuilles vertes qui mettent en avant des entreprises qui sont plus respectueuses de la nature, classées selon des labels écologiques. Par exemple le label B Corp. Ou bien, on met en avant des entreprises qui vont être néfastes pour la planète avec une petite icône usine et toutes ces entreprises-là sont des entreprises qui reposent sur des énergies fossiles. Par exemple, une feuille verte serait mise à côté de Patagonia et à côté de Shell, on pourrait avoir une petite icône usine. On essaie d’aider nos utilisateurs à faire de plus en plus de choix responsables. Ça passe par ce premier outil et petit à petit, on recrute davantage pour essayer de développer toutes nos équipes de développement et proposer un produit de plus en plus fort. J’espère qu’un jour, on n’aura plus qu’à se reposer sur nos propres algorithmes et avoir nos propres résultats. 

Juliette Chabod : « Aujourd’hui, on est à plus de 127 millions d’arbres plantés à travers 10.000 sites dans 35 pays »

Feat-Y : Comment fonctionne l’algorithme d’Ecosia ? Est-ce qu’il fait en sorte de valoriser en premier lieu des sites ayant une empreinte écologique faible ?

J.C : C’est avec le green search. C’est vrai que c’est du côté de Bing que les annonceurs sont sélectionnés et qu’ils peuvent choisir un moteur de recherche additionnel et alternatif comme Ecosia, ou d’autres comme DuckDuckGo ou Qwant. C’est vrai qu’on a moins de droits de regard sur ces annonceurs. C’est pour ça qu’il était extrêmement important pour nous de mettre en avant des entreprises respectueuses de la planète, avec cet outil.

Feat-Y : En tant que moteur de recherche écologique, quel est l’impact environnemental d’Ecosia et quels sont les investissements prévus pour le réduire ?

J.C : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on a un devoir d’action parce qu’en tant qu’entreprise du numérique, on a une empreinte carbone. Le numérique pollue énormément et de plus en plus. On ne s’en rend pas vraiment compte quand on envoie un mail, quand on fait un appel en visio, il y a un coût environnemental associé. C’est compliqué de réaliser que derrière, tout est stocké dans des serveurs qu’il faut alimenter. 

On a investi dans des panneaux solaires en 2017. Au début, on produisait 100% de l’énergie qui était nécessaire pour alimenter les recherches de nos utilisateurs. En 2019, on s’est rendu compte qu’on pouvait produire le double d’énergie. En 2020, on en a carrément produit le triple. On compense juste avec ces panneaux solaires-là. Le surplus d’énergie est investi dans les circuits locaux, en Allemagne. Mais il y a vraiment cette conscience qu’on a un poids environnemental. Il faut qu’on compense par certains moyens. On est aussi très précautionneux dans la façon dont nos arbres sont utilisés. Pour nous, ils ne doivent pas rentrer dans des logiques de compensation carbone. Nos arbres sont là pour régénérer les écosystèmes, pour une dimension positive et pas pour des logiques de compensation.

Feat-Y : À l’heure actuelle, quel nombre de personnes utilisent Ecosia comme moteur de recherche et quelle part représente la France sous cet angle ?

J.C : On a 15 millions d’utilisateurs actifs par mois. En France, on est à quatre millions, aujourd’hui. On est le deuxième marché, derrière l’Allemagne, qui est à cinq millions. On est suivi par l’Angleterre et les États-Unis. La ville de Paris est la ville qui enregistre le plus de recherches faites dans le monde.

Feat-Y : Ce qui fait la renommée d’Ecosia est que votre moteur de recherche finance des programmes de reforestation. Combien d’arbres ont pu être plantés via Ecosia et y a-t-il eu une accélération ces dernières années, y compris depuis le début de la crise sanitaire ?

J.C : Aujourd’hui, on est à plus de 127 millions d’arbres plantés à travers 10.000 sites dans 35 pays. On a eu une croissance assez exponentielle depuis 2019. Il s’est passé beaucoup de choses cette année-là. Il y a eu des feux de forêt en Amazonie. Ce sont des moments où on entend parler de Greta Thunberg, de mouvements comme Fridays for future, etc. Ce qui fait qu’il y a eu un fort engagement de la part de jeunesse, notamment, et surtout un déploiement de l’action individuelle. On a vu une augmentation de notre base d’utilisateurs à ce moment-là, signifiant plus d’arbres qu’on plante. On a vu aussi un effet de la crise, du fait que les gens étaient plus chez eux, effectuant ainsi plus de recherches. Cela dit, les annonceurs avaient moins d’argent à allouer, à investir pour les moteurs de recherche. On avait moins d’annonces publicitaires mais plus de recherches.

Feat-Y : Y a-t-il d’autres programmes écologiques soutenus par Ecosia ? Si oui, quelle est leur part, comparativement aux programmes de reforestation ?

J.C : Ça dépend vraiment des pays. On a quatre marchés principaux. On a la France, l’Angleterre, l’Allemagne et les États-Unis. En France, on a soutenu le projet d’une permaculture qui s’appelle « la ferme des Gonnegirls », qui est située en Normandie, qu’on a soutenue en 2019. En Angleterre, durant toute la crise du Covid, on est venu mettre en place des projets de reforestation au sein des hôpitaux pour venir en soutien au personnel hospitalier du NHS parce qu’il est prouvé qu’il y a un rapport entre la présence de la nature et la réduction de l’anxiété, l’amélioration de la santé mentale. C’est important pour nous d’être présent dans cette crise. En Allemagne, on a racheté un projet de forêt pour protéger un environnement qui pouvait être voué à la déforestation. On a plein de projets différents. En ce moment, avec la crise, on essaie de protéger davantage nos projets de reforestation. On n’en a pas tellement en activité. J’espère qu’en 2022, on va pouvoir reprendre ce soutien associatif en plus de nos projets.

Feat-Y : Quelles sont les zones géographiques où les programmes écologiques soutenus par Ecosia sont les plus importants et quels sont les critères pour obtenir un soutien financier de la part de votre société ?

J.C : On agit principalement dans ce que l’on appelle des zones critiques de biodiversité. C’est-à-dire là où il y a urgence climatique. C’est une des raisons pour lesquelles on n’a pas de projet en France. On est réparti sur 35 pays. On a énormément de projets en Amérique du Sud, notamment au Brésil, au Pérou. On en a en Afrique, qui est le continent qui regroupe le plus de projets, notamment au Burkina Faso, au Sénégal, en Éthiopie. On est aussi présents en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie. Depuis janvier 2020, on est présent en Australie, en réponse aux feux de forêt de ce début d’année-là, dans le sens où on n’était pas présent dans la région et qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une urgence liée aux catastrophes naturelles en Australie. On a lancé nos projets là-bas. Dans chacun des pays, on a un focus d’actions spécifiques. On a toujours travaillé avec les associations issues des communautés locales, parce qu’elles sont les plus à-mêmes de nous assurer de travailler avec des espèces endémiques. Le but n’est pas de planter le même arbre partout, mais de venir travailler avec la bonne espèce au bon endroit, pour maintenir la biodiversité, assurer la résilience des écosystèmes. Ensuite, on a la question de s’assurer d’avoir un impact positif pour les communautés locales. Typiquement, au Sénégal, il y a une problématique de sécurité alimentaire. On travaille avec des fermiers, à travers des méthodes d’agroforesterie pour rendre les sols encore plus résilients, leur permettre de diversifier leur culture et leur permettre d’augmenter leurs revenus. En Australie, on est en train de contrer les effets du dérèglement climatique. En Ouganda, c’est de travailler à la préservation des chimpanzés avec le Jane Goodal Institute. Au Brésil, c’est lutter contre la déforestation en général, contre les politiques régionales de déforestation. Puis, c’est quand même un pays qui compte 60% de la biodiversité mondiale. Ce n’est pas rien. Chaque zone a sa particularité. C’est ce qui fait qu’on clame toujours comme message : « Il ne s’agit pas juste de planter un arbre ». Il y a une compréhension du terrain à avoir. Sur le recrutement des associations, on va s’assurer qu’on travaille avec des gens qui ont la capacité de planter des arbres. Quand on arrive, on ne demande pas juste de planter 10 arbres, mais des centaines de milliers sur plusieurs années. On fait énormément de suivi des plantations. Il faut que ce soient des personnes en capacité d’effectuer un contrôle régulier parce qu’on vient faire des visites de terrain mais on ne peut pas être partout en même temps et on évite de voyager un maximum aussi. On va aussi s’assurer que ce sont des gens qui travaillent avec des espèces endémiques, qui ont cette véritable compréhension socio-économique, que ce sont des gens qui respectent les droits des femmes, que ce sont des associations qui n’embauchent pas des enfants. Il y a toute une recherche pour s’assurer que ce sont des associations qui sont alignées avec les valeurs d’Ecosia et on essaie, au maximum, de travailler avec les mêmes partenaires. Par exemple au Brésil, on travaille avec les mêmes partenaires depuis 2012. On essaie d’instaurer au maximum des relations de confiance avec les gens et d’avoir des relations de long terme.

Feat-Y : Est-ce que la crise sanitaire en cours a ouvert une réflexion du côté d’Ecosia pour concilier au maximum préservation de l’environnement et respect de la vie privée ?

J.C : Il y a une véritable question du respect de la vie privée. On en est convaincu. C’est un message qu’on met moins en avant que le message environnemental parce que, pour nous, c’est le b.a.-ba pour une entreprise du numérique que de respecter la vie privée de ses utilisateurs. D’autant plus dans un monde qui devient de plus en plus numérisé, digital. Ce n’est jamais agréable de savoir qu’on est surveillé. Je pense que c’est très important. Et sur l’environnement, on est tous alertes de ce qui se passe, du danger de la situation. Je pense que ce sont deux combats qui sont d’actualité et qui prédominent le paysage médiatique. C’est ce qu’on essaie de concilier, de bien faire les choses, de contribuer à un monde meilleur pour demain, tout en respectant la vie privée des gens.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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