Avec L’inconnu de la poste, Florence Aubenas s’empare des codes du Nouveau journalisme pour nous offrir un livre dans la lignée de Truman Capote et Gay Talese. Une enquête palpitante et enivrante sur le véritable crime d’une postière qui défraya la chronique en 2008. Entre polar et fait divers, L’inconnu de la poste est aussi remarquable que marquant.
Il aura fallu sept ans à Florence Aubenas pour réunir toutes les pièces d’un puzzle format XXL. Sept ans pour rencontrer la plupart des protagonistes qui gravitent autour du crime sanglant de Catherine Burgot, assassinée de 28 coups de couteau le 19 décembre 2008 dans la petite poste du village de Montréal-la-Cluse. La grande reporter au Monde mène l’enquête et sème le doute avec une maestria sans pareil. Un roman-enquête à dévorer comme un polar. Mais ici, à Montréal-la-Cluse, tout est vrai. Il y a tout d’abord, un décor, celui d’un village de montagne près du lac Nantua qui connut son heure de gloire dans les années 70 avant de peu à peu sombrer dans l’oubli. La Riviera des alpages ne fait plus rêver. Aujourd’hui, les fermes et les exploitations agricoles ont cédé la place aux usines de la Plastic Valley. Puis, il y a ses personnages dickensiens sous amphétamine. Une bande de marginaux plombés par l’héroïne et l’alcool avec en chef de fil Gérald Thomassin. Lui n’est pas un vagabond comme les autres. Il est acteur. Césarisé pour son personnage dans Le Petit Criminel de Jacques Doillon. Le gosse de la DDASS ne s’est jamais vraiment remit des strass et paillettes du milieu. Comme l’écrit Florence Aubenas, le cinéma bouffe ses enfants et les recrache. Entre deux tournages, Gérald Thomassin disparait pendant des mois, se came, boit de l’alcool pharmaceutique à 70°c avec un peu de sucre. Allez savoir comment, il se retrouve à Montréal-la-Cluse dans un studio en sous-sol baptisé la Grotte. Il traine avec des jeunes du village, des paumés comme lui, le corps marqué par la route de la drogue entre Lyon et la Suisse. Il y a Tintin et Rambouille, les Dalton comme ils se surnomment avec l’acteur. Lorsque Catherine Burgot est assassinée, les soupçons se portent tout d’abord sur l’ex-mari. Mais, la piste ne donne rien. Alors, le trio de marginaux est rapidement suspecté. Gérald Thomassin habite juste en face de la poste. Cerise sur le couteau, il se balade toujours avec un schlass et s’amuse à décrire le modus operandi du meurtre. Le père de la victime, un notable qui a ses entrées au palais de justice, n’en démord pas : Gérald Thomassin est forcément impliqué dans le meurtre de sa fille. Au fil des pages, Florence Aubenas dépeint avec une extrême minutie un monde si proche et si loin. Un vase clos dramatique sublimé par l’empathie de la grande reporter. Sa plume ne juge pas. Elle se fait humblement le témoin d’un fait divers avec un sens du détail à vous donner le tournis. Derrière les lettres capitales des gros titres des journaux, Florence Aubenas nous rappelle qu’il y a des hommes, des femmes, des familles, des vies brisées et des corps esquintés. Un roman-enquête d’une puissance rare.
L’inconnu de la poste, Florence Aubenas, L’Olivier
Par David Xoual