Vous souvenez-vous de ces gribouillages que vous faisiez dans la marge, enfant, lorsque vous vous ennuyez en cours ? Et de cette peinture, du grand art, que vos parents ont encadré surtout pour vous encourager ? Remontez à cette époque. Vous vous souciez certainement très peu de savoir si c’était beau ou moche. Vous le faisiez par plaisir. Et souvent, vous en étiez fier. Et puis, en grandissant, on vous apprend que dessiner dans la marge, c’est mal ; et que vraiment non, vos dessins ne sont pas beaux. Alors vous arrêtez, vous laissez tomber. Hors de question de gribouiller lors d’une réunion au travail. Chez vous, vous n’avez pas le temps : entre les enfants, la maison et les deux chiens, vous êtes débordé.
Et puis, à quoi bon faire quelque chose pour lequel vous êtes nul ? Un dessin, c’est fait pour être beau, non. Et les vôtres sont moches. C’est comme ça. Il y a des gens qui sont doués et d’autres non. Vous faites partie de la seconde catégorie. Vous ne serez jamais Van Gogh.
Mais en y réfléchissant un peu, ou croyez-vous que Van Gogh ait commencé ? Et Da Vinci ? Croyez-vous vraiment qu’ils aient pondu, à l’âge de deux ans, une œuvre présentable au musée sur le premier bout de papier venu ? Enfin, il faut bien commencer quelque part. Alors oui, peut-être que certains sont plus doués que d’autres. Mais il faut aussi s’entraîner, s’acharner, échouer encore et encore et échouer mieux pour bien dessiner.
Et après tout, pourquoi dessinez-vous ? La plupart d’entre vous n’envisage pas de se lancer dans une carrière artistique. La plupart d’entre vous ne dessine que pour soi, pour s’amuser. Dans ce cas, qu’importe l’aspect esthétique de votre œuvre ? Et le sourire gêné de votre conjoint lorsqu’il vous dit que oui oui, c’est très beau ? Si vous dessinez pour vous, amusez-vous avant toute chose !
N’avez-vous pas remarqué que nous faisons toujours mieux ce que nous aimons ? Pourquoi ? Peut-être parce que nous sommes prêts à dépenser beaucoup plus de temps et d’énergie pour ce qui nous plait, alors même que cela nous coûte moins. Remettez-vous dans cette situation, où vous faites quelque chose que vous aimez vraiment. A quand est-ce que cela remonte ? Vous en souvenez-vous ? Vous souvenez-vous de cette sensation, où l’on ne voit pas le temps passer ? Où vous ne regardez ni votre montre, ni votre téléphone ? Lorsque vous relevez la tête, il fait nuit. Vous avez bien progressé, sans même vous en rendre compte, sans même essayer. Et cela car, à ce moment-là, votre concentration était entière. Parce que vous êtes capable de donner toute votre attention à cela, vous vous améliorez.
On dessine parce que l’on aime ça. Parce que ça nous amuse, que ça nous détend. Certaines personnes dessinent car c’est thérapeutique pour elles. Lorsqu’on dessine, on est dans notre propre espace mental, dans notre petit monde bien à nous, hors du temps et de l’espace. Si on est totalement absorbé, on ne pense plus à notre quotidien : ni aux impayés, ni aux devoirs des enfants, ni aux entretiens d’embauche. On se retrouve seul, avec soi-même et sa feuille. Alors qu’importe que votre dessin ai l’air sorti d’un carnet de Da Vinci ou du cours d’art de votre petit neveu. Si vous aimez ce que vous faites, faites-le pour vous, sans autre dessein.
Nous vous présentons ici notre manifeste pour le droit au dessin moche, en quinze points.
- Tout le monde a le droit de dessiner librement et sans complexe.
- Nous dessinons pour nous et rien que pour nous. Le dessin doit nous permettre de nous amuser et de nous exprimer selon nos propres envies.
- Le dessin peut être sombre ou coloré, précis ou brouillon, angulaire ou rondouillet, beau ou laid, indifféremment. L’important étant qu’il soit si on a envie de le créer.
- Le dessin doit être un plaisir et un amusement, et non une corvée.
- Enfant, nous avons tous dessiné pour nous amuser, sans nous soucier de l’esthétique et en toute occasion : dans la marge en classe, sur le sable de la plage, sur le premier bout de papier venu…
- Ce n’est qu’en grandissant que l’on acquiert la croyance limitante qu’un dessin doit être beau et que l’esthétique répond à des normes structurées. On acquiert cette croyance à travers les moqueries des autres face à nous dessins, aux remarques plus honnêtes de notre entourage, à l’interdiction de dessiner en cours et à tout ce type de facteurs en règle générale.
- On a alors tendance à penser qu’un dessin doit être beau et qu’en la matière on est immédiatement doué ou non. Ces croyances sont toutes deux également fausses.
- Nous dessinons avant tout pour nous exprimer, pour communiquer. Dans ce cas, qu’un dessin soit beau ou moche, cela n’a aucune espèce d’importance, le principal étant qu’il nous permette d’extérioriser.
- On ne dessine pas automatiquement bien. Le dessin demande un geste, une habitude, un œil. Tout cela s’entraîne. Même les plus grands peintres et dessinateurs ont d’abord eu besoin de s’entraîner. Autrement dit, pour arriver à un beau dessin, il faut passer par un dessin moche.
- Bien malin est celui qui arrive à définir la beauté. De Platon à Nietzsche en passant par Kant, nombreux sont les grands penseurs qui ont essayé sans pour autant arriver à l’unanimité. Ne jugez pas trop sévèrement votre dessin, ni celui des autres. Basquiat, Dali, Picasso et une multitude d’autres n’ont pas toujours été appréciés de tous. La beauté est dans l’œil de celui qui la regarde.
- Le dessin doit permettre de s’exprimer. La laideur ne bloque en aucun cas l’expression des émotions et peut même en faire partie.
- Concernant l’art en lui-même, on serait bien en mal de dater sa première occurrence. A partir de quand un tas de pierre cesse-t-il d’être uniquement cela pour devenir une œuvre d’art ? Et dans quel but l’humain a-t-il produit ce genre de comportement ? On n’a toujours pas découvert les raisons des peintures de Lascaux, mais les spécialistes du sujet s’accordent pour dire qu’elles n’étaient sûrement pas seulement esthétiques. La volonté d’expression et de communication est une des pistes les plus sérieuses actuellement explorées. Alors peut-être que ce qui a primé avant tout chez l’humain dans le geste du dessin, c’est l’expression avant l’esthétique.
- On ne le répétera jamais assez, lorsque l’on dessine, il faut s’amuser. Le dessin ne doit pas être une corvée. Il peut être imparfait et même brouillon, avec des traits qui dépassent dans tous les sens. Votre licorne peut ressembler à une vache. Ce n’est pas grave. L’important, c’est que vous ayez aimé le faire.
- Peu importe que vous dessiniez bien ou mal. L’important, c’est que vous aimiez ça. Si vous aimez, vous allez surement y passer beaucoup de temps, et là est le secret. Ce que l’on aime, on finit toujours par le faire bien, car on est capable d’y dépenser beaucoup de temps et d’énergie.
- Le beau dessin n’est la condition de rien là où le dessin moche est une condition du beau mais aussi une fin en soi.