Il a fait irruption dans le monde des Lettres, dans les années 1980, avec un Best-seller, « la Mémoire d’Abraham », qui relate une épopée humaine en se saisissant du fil de l’histoire. En trente ans, Marek Halter est devenu l’écrivain de la mémoire, en œuvrant  avec son épouse Clara, au dialogue interreligieux. Il vient de d’éditer un ouvrage intitulé «Un monde sans  Prophètes », mais c’est aux femmes, prophétesses et figures centrales des religions monothéistes qu’il a rendu hommage en leur consacrant de nombreux ouvrages.

FEAT-Y:Vous avez mis à l’honneur les femmes de la Bible dans « la Bible au féminin ». Les femmes jouent un rôle de deuxième plan dans toutes les religions. Comment expliquer cela ? On ne compte qu’une femme imam, Kahina Bahloul, quatre femmes rabbins issues du judaïsme libéral, plusieurs femmes pasteures, et rien pour le catholicisme.

Marek Halter: Votre question est pertinente. En effet, à première vue, les femmes jouent, dans les grandes religions, un rôle de second plan. Mais je dis bien « à première vue ». Nous devons prendre en considération que ce sont des hommes, souvent misogynes, qui ont choisi et compilé ces textes des siècles après leur écriture. 

Commençons par le commencement. Par la création du monde. Nous sommes au paradis, avec un homme, Adam, une femme, Ève, et leurs deux fils Caïn et Abel. Dans la genèse, deux passages se disputent, à quelques pages d’intervalle, l’origine de ces premiers êtres humains. L’un soutient que la femme serait sortie de la côte de l’homme, parce qu’il s’ennuyait tout seul. L’autre affirme simplement : « Homme et femme, Il [Dieu] les créa ». Égaux, donc. 

Puis il y a en ce lieu des arbres dont les fruits leur sont interdits. Qui d’Ève ou d’Adam ose braver l’interdit, par désir de connaître le monde, le destin de ses semblables, Dieu ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas Adam, mais Ève. L’homme, lui, n’est pas curieux.

Et si, les femmes occupent des postes à responsabilité, si elles peuvent désormais s’affirmer  dans la société à linstar des hommes, c’est parce qu’une autre femme, des centaines de millions d’années avant vous, voulait savoir. Sans Ève, pas d’école, pas d’université, pas de livres… Bref, pas de connaissance. 

À partir de cette simple constatation, j’ai relu les Textes. Et j’ai découvert que les femmes ont joué un rôle essentiel dans l’évolution de l’humanité. D’où la trilogie que j’ai consacrée aux femmes de la Bible (Sarah, Tsippora, Lilah), aux femmes de l’islam (Khadija, Fatima, Aïcha), à Marie, à la Reine de Saba, à Bethsabée, et j’en passe. 

Il est vrai que le clergé n’a pas donné à la femme la place qu’elle mérite. Peut-être, comme vous le soulignez, à cause d’une prétendue impureté ? En revanche, on trouve de nombreuses femmes parmi les prophètes ou les dirigeants politiques, et d’importance : les prophétesses Deborah et Houldah, par exemple, ou encore Judith, Ruth, Anne, Marie — dont la parole fut, en effet, réduite dans les Textes par les Évangélistes, mais réhabilitée par le Coran. Sans oublier les figures féminines essentielles de l’islam. Et les multiples reines qui ont joué un rôle dans l’élaboration des lois et l’organisation de la société, à l’époque moderne, bien sûr, mais aussi au Moyen-Âge. 

Si à ce jour vous ne pouvez citer qu’une seule femme imam et quatre femmes rabbins, c’est que, entre-temps, la religion a cédé la place aux mouvements de contestation politiques et intellectuels. Je pense naturellement à Louise Michel (en cette année de commémoration du 150anniversaire de la Commune de Paris), Marie Curie, la philosophe Simone Weil, Hannah Arendt, Simone de Beauvoir ou, plus près de nous, la femme politique Simone Veil. 

FEAT-Y:Vous avez en effet consacré une trilogie aux femmes de l’islam, mais curieusement un seul ouvrage à l’une des femmes qui a joué un rôle dans le christianisme : Marie de Nazareth ? Pourquoi ? Est-ce parce qu’elle était juive et qu’elle trouve sa place aux côtés de Lilah et Tsippora ? À quand les femmes des Évangiles ?

Marek Halter:En effet. Anne, la mère de Marie, et Marie de Magdala mériteraient elles aussi chacune un livre. Mais le temps manque. 

Marek et Clara Halter @credit pic Lea Raso Della Volta

FEAT-Y:Il y a Hypatie au 4siècle, une femme chrétienne, assassinée en raison de ses idées progressistes. Pensez-vous que les femmes, si toutefois elles accédaient aux fonctions religieuses, pourraient être un rempart contre le fanatisme ?

Marek Halter:Je suis convaincu que les femmes joueront un rôle de plus en plus important à l’avenir. Que cela soit dans les religions, les sciences, la société ou la politique. Il y aura de plus en plus de femmes « réveilleuses d’opinion ». Même si cette insertion sera sans doute beaucoup plus lente dans les églises, où, qu’on le veuille ou non, pèse une tradition millénaire. Ce qui n’entrave guère les différentes religions de rendre hommage aux femmes, à leur manière. L’Église catholique ne compte-t-elle pas autant de saintes que de saints ? 

FEAT-Y:On a le sentiment que le rôle de mère empêche les femmes d’accéder aux fonctions sacerdotales, car cela les rend impures. N’y a-t-il pas quelque chose de contradictoire dans cette vision que l’on a du rôle de la femme ? Enfanter est-il un privilège qui se retourne contre la femme ?

Marek Halter:Vous avez raison pour ce qui est de la religion. En revanche, le rôle de mère favorise les femmes, et les favorisera encore plus demain, dans leur ascension aux affaires politiques ou économiques des sociétés dans lesquelles elles évoluent. Regardez le nombre de Premiers ministres ou de présidentes femmes aujourd’hui en Europe, en Afrique ou en Asie ! Je crois même, comme c’est le cas de Kamala Harris aux États-Unis, que le fait d’avoir des enfants donne confiance à celles et ceux qui votent pour elle. S’occuper de sa propre progéniture ne prépare-t-il pas la femme à diriger des millions de citoyens ? 

FEAT-Y: Quelle est la femme de la Bible qui vous a le plus séduit, et pourquoi ? 

Marek Halter:Tsippora. Un personnage particulier. Noire de peau, fille de Jethro, le Grand prêtre de Madian, elle sauve la vie de Moïse par deux fois. La première, lorsque la police de Pharaon le pourchasse, la seconde, lorsque, ayant accepté la mission de libérer son peuple de l’esclavage, il tombe malade sur la route vers l’Égypte. Mais j’admire surtout cette figure pour le rôle essentiel qu’elle joue dans l’histoire de l’humanité, au moment où se forgent les règles qui gouvernent encore aujourd’hui toutes les constitutions : le don de la Loi sur le mont Sinaï. Par son activisme, par sa présence même, Tsippora suscite, à ma connaissance, les premiers débats sur le racisme qui était, à l’époque, prédominant dans les rapports entre les humains. La Bible nous dit que, quand Moïse descend enfin du mont Sinaï pour se retrouver sous la tente familiale où l’attendent son frère Aaron et sa sœur Myriam, il reçoit des plaintes contre sa femme Tsippora qui faisait patienter le peuple et qui lui donnait confiance, elle « qui n’était même pas l’une des leurs, et noire de surcroît ». Moïse proteste. La discussion s’envenime. Et Dieu tranche : Myriam, qui a exprimé un mépris pour une personne à cause de la couleur de sa peau, est punie. Elle attrape la lèpre. Et Dieu rappelle aux hommes que, quelle que soit leur appartenance, Il les a créés à son image. Révolutionnaire !

FEAT-Y:Pourquoi avoir choisi précisément Lilah, Tsippora, Sarah etc. ? Et pas Rachel, Myriam… ?

Marek Halter:Pour une seule et même raison : le manque de temps. Si vous saviez le nombre de projets que j’aimerais encore réaliser !

FEAT-Y:Dans votre dernier opus, Un monde sans prophètes, vous consacrez une ligne aux prophétesses, mais c’est à peu près tout. Selon vous, leur rôle n’est-il pas à la hauteur des prophètes comme Samuel ou Jérémie ?

Marek Halter:Pas du tout ! Mais peut-être aurais-je dû être plus précis dans mon livre. Le chant de la prophétesse Deborah demeure l’un des textes les plus cités et les plus admirés de la Bible. Quant à la Meguilat Esther, on la relit chaque année à Pourim, et cela depuis des siècles. 

FEAT-Y:Une femme ne peut-elle pas être une lanceuse d’alerte ? Pourtant, Gisèle Halimi, Simone Veil et bien d’autres ont joué un rôle important dans l’éveil des consciences… 

Marek Halter:Bien sûr que si. Je n’oublie pas la militante afro-américaine Rosa Parks qui, par son courage, a rappelé au peuple américain la condition des noirs. Sans parler, plus près de nous, des revendications féministes de George Sand. Ou l’apport de Rosa Luxembourg au prolétariat. Ni même Anna Polikovskaia et Nawal al-Saadawi… 

FEAT-Y:Comment expliquer de nos jours la quasi-disparition des prophètes ? Vous les comparez à des lanceurs d’alerte. Selon vous Assange peut-il prétendre au titre de prophète ? 

Marek Halter:Bonne question. Tout d’abord, je me dois de préciser que, bien que je compare le lanceur d’alerte au prophète, le champ d’action de ce premier reste catégoriel (ou spécifique) et non global ou universel comme ce dernier. Ce qui en fait un prophète incomplet : il a peut-être la verve du prophète, ou son charisme, mais il ne couvre pas tous les domaines comme le véritable prophète. Personnellement, je ne crois pas qu’il suffise de transgresser les règles, même injustes, pour devenir un prophète. 

Le vide vient du trop-plein qui est dû, quant à lui, à la prolifération des médias et moyens de communication. Jésus n’avait que douze disciples. Pour commencer. À notre époque, n’importe quel anonyme, en lançant son site sur Internet, en aurait plus. Il est possible que, dans ce brouhaha qui étouffe tout entendement à travers le monde, on distingue, un jour prochain, un cri. Un cri qui nous emportera. Mais, pour cela, nos autorités devraient interdire l’anonymat. Comme le soutenait Voltaire, tout individu a le droit de s’exprimer. Mais il doit aussi prendre la responsabilité de ses idées et propos. Je suis persuadé qu’après la pandémie, quand nous redécouvrirons notre monde changé, abasourdis par tant d’émoi ou peut-être d’années de solitude, nous trouverons quelqu’un pour nous redonner de l’espoir. Ce sera alors le renouveau de la prophétie. 

Propos recueillis par Lea Raso Della Volta