Depuis quelques années, le podcast est un format qui s’impose de plus en plus dans le monde de l’audio, mais aussi de l’information. Ce principe, créé dans les années 2000, permet l’écoute de programmes, quand on le souhaite, où on le souhaite. Sa force principale ? Son accessibilité, à la fois comme auditeur.ice que comme créateur.ice. Car oui, quiconque le souhaite peut créer un podcast, et c’est peut-être ce qui contribue joue après jour à diversifier la proposition de contenus, jusqu’à imposer ce format comme un média à part entière. En France, de grands noms du podcast existent et se mêlent directement avec les évolutions sociétales. De grands noms, qui ont donné l’impulsion à certain.e.s pour parler de sujets parfois sensibles, souvent importants. Parmi eux, Titiou Lecoq, et son podcast Rends l’argent, programme dédié aux relations couple/argent, ou encore Jeane Clesse, et Basilic, qui se consacre à l’environnement et aux initiatives positives. Deux univers, qui nous montrent que oui, le podcast peut être un média engagé, mais aussi et surtout : un média éclairant. 

Une prise de parole moins contrainte

Il va sans dire que si quelque chose s’incarne dans le format que représente le podcast, c’est bien la liberté. Liberté de ton, liberté d’imprévu, liberté de choisir ses thèmes. En cela, il peut rapidement s’imposer comme le terrain de la parole libre. Le podcast possède des codes très différents de la radio, à laquelle on est parfois tenté.e de le comparer. En effet, Jeane Clesse, créatrice du podcast Basilic, développe qu’avec le podcast, on oublie qu’on est train de parler (…) D’autant plus qu’après, on peut faire toute une partie de montage, donc on n’est quand même pas limité en temps.

Un temps de l’immédiateté, sur lequel il est possible d’intervenir à sa guise, de retravailler la forme. Il n’en fallait pas plus pour rendre la parole « concrètement » moins soucieuse, et, de fait, moins contrainte. Un format monté, qui garde l’esprit d’artisanat, telle pourrait être l’une des caractéristiques du podcast. Mais il faut également se saisir d’un constat : les podcasts sont majoritairement faits par des gens jeunes, qu’il s’agisse d’entretien ou encore de fictions. 

Face à son développement croissant ces dernières années en France, le podcast s’est vu être saisi par une génération sans cesse en demande de parole moins contrainte, d’expériences intimes et de remises en question. On a pu le constater avec des podcasts comme Injustices de Louie Media, ou encore le très apprécié Transfert de Slate. Le format s’y prête de la plus belle des façons, quitte à retranscrire au plus près la vie des autres, et à s’inclure soi-même, lorsqu’on est animateur.ice. Car dans un podcast, la parole de celui ou de celle qui parle s’incarne, devient plus engagée. Il est bon de dire d’où l’on parle pour parler de ce que l’on parle. À la lumière de son podcast Rends l’argent, la journaliste Titiou Lecoq affirme, à propos de la présence de la « voix », que celle-ci est Partout. Dans mes interventions, mais même en amont, dans le choix de mes interlocutrices. Dans les questions que je leur pose. Dans les réponses que je garde. La règle pour moi c’est ne pas taire une information parce qu’elle n’irait pas dans le sens qui m’intéresse. Au contraire, il faut dire tout ce qui contredit ce qu’on pense parce que c’est là qu’on obtient des infos surprenantes. 

De plus, si des studios spécialisés ont vu le jour, la production d’un podcast est souvent associée à un certain artisanat, mais aussi et surtout : à une liberté panoramique. Selon Jeane Clesse, il y’a une vraie volonté de ma part de l’être (engagée, ndlr), notamment dans le choix des annonceurs, le fait d’avoir refusé de travailler avec des régies de publicité qui inséreraient de manière dynamique des publicités sur lesquelles je n’aurais aucun contrôle, et donc, je ne pourrais pas savoir qui diffuse un message sur mon podcast. Cela fait partie de ma volonté d’être un média engagé.

Loin de s’affirmer comme un média subversif, le podcast serait donc un média qui – par l’engagement de ses animateurs.ices – fait bouger les lignes, bouscule les temps morts et draine de nouvelles réflexions. Cela est peut-être aussi dû au temps long qu’il peut se permettre de proposer. En diffusant des entretiens au long court, il assure une distribution de l’information plus complète, sans interventions quelconques. Pour Titiou Lecoq, le pacte avec les auditeurs/trices n’est pas le même (qu’à la radio, ndlr). Ces derniers deviennent de véritables acteurs, et aujourd’hui encore, Jeane Clesse n’imagine pas du tout une heure d’entretien consacrée à l’écologie à la radio (…) On est dans un monde qui va un peu à 1000 à l’heure, on est submergé.es par l’information, et en fait, le podcast, c’est aussi reprendre le temps juste d’écouter une seule personne, ce qui finalement est assez rare. Une question qui, naturellement pose la question de l’ouverture aux voix nouvelles et engagées, et à ce qu’elles ont à nous dire.

Le podcast, un support accessible à toutes les voix

(…) Donner la parole aussi à celles et ceux qui portent de projets à toute petite échelle, qu’ils soient militants, que ce soit un projet pourquoi pas associatif, pédagogique. Il n’y a pas de critère chez Basilic, et on n’a pas besoin d’avoir une forte notoriété pour passer au micro. C’est de cette manière dont Jeane Clesse définit son projet. Malgré le fait que si on tend le micro à des personnalités, à des gens plutôt célèbres qui parlent d’écologie dans les médias traditionnels, évidemment, on a plus de chances d’attirer des auditrices/eurs qui ne sont pas habitués au monde du podcast, et qui vont venir parce qu’on a interviewé telle ou telle personnalité, le podcast est aussi un terrain de découverte (parfois d’expérimentation) pour libérer la parole. Une parole plus souvent engagée que dans les médias traditionnels, et parfois même, plus éclairante. 

Il n’en reste pas moins que cette dernière est plus que jamais ancrée dans une société en perpétuelle remise en question. Ce qui fait aujourd’hui la singularité du podcast, c’est que son développement s’organise en parallèle de prises de parole croissantes dans l’espace public. On le voit de façon nette dans certains podcasts comme Kiff ta race (Binge Audio), La Poudre (Nouvelles Écoutes), ou encore Les couilles sur la table (Binge Audio), les invité.e.s ont cette volonté de faire circuler la parole, et de donner à leur récit des airs d’empouvoirement.

Le podcast est donc un média du temps long, mais aussi de l’intensité. Conscientiser des combats, ne pas réduire des engagements à une parole biaisée, rendre les honneurs à ceux et celles qui les méritent, tout ceci passe par l’ouverture aux nouvelles voix. Nouvelles, ou peut-être simplement mises de côté par la lumière médiatique jusqu’alors. À la manière d’un biologiste, le/la podcasteur.se se penche sur toutes celles et sur tous ceux qui catalysent l’engagement jusque dans tout ce qu’il a de plus beau. Il synthétise, mais va plus loin : il explicite la parole. Il rend certains thèmes comme le féminisme ou le couple & l’argent légitimes et éclairants, bien au-delà d’une chronique à la radio. Le podcast n’a pas peur des sujets compliqués, et s’impose, une nouvelle fois, comme le reflet de la société.

Il semble évident d’affirmer aujourd’hui que les oreilles sont prêtes à entendre parler d’écologie ou d’inégalités sur un temps long. Pour Titiou Lecoq, il y a conjonction entre podcast et moment MeToo pour moi. Pour Jeane Clesse, qui traite d’écologie, ce dernier reste un sujet compliqué à aborder. On n’a pas envie d’être trop moralisateur, on n’a pas envie de culpabiliser, on n’a pas envie de juger les comportements de chacun. (…) Quand on écoute des podcasts écolo, même si ce sont de super initiatives, en général, c’est qu’il y a eu un constat assez noir d’une certaine situation. (…) Il y a plein de choses qui se font, donc, au final, c’est positif, mais ça reste quand même un sujet parfois tabou.

Il semble pourtant évident que certains grands médias semblent avoir manqué la demande du public de recevoir ces voix toujours plus engagées, au profit du podcast. Ce média participe, donc, à son échelle, que les podcasteurs/euses (qui sont parfois eux/elles-mêmes des journalistes engagé.e.s) incarnent, à une transformation sociale. Transformation que la voix des invité.e.s incarnent, dans un esprit parfois plus détendu, souvent plus pédagogique. Pour Titiou Lecoq, de manière générale, c’est un média de l’intime. Le son implique notamment ça. Donc on ne peut pas s’y adresser aux gens comme si c’était un JT par exemple. On touche peut-être du doigt ce qui fait le sel du podcast : en ouvrant la parole à l’engagement, il se distingue des autres médias.

Le podcast, un média à part entière

De façon très nette, il s’agit bien de se figurer que le podcast n’est pas un média « à comparer » avec les autres. Il est devenu, et est désormais, un média avec tout ce que cette notion englobe : une ligne éditoriale, un parti-pris, un animateur.ice, un format qui lui est propre. En créant son podcast Rends l’argent, la journaliste Titiou Lecoq a bien vite compris que chaque média a ses spécificités. Mais en rédigeant le mien, il a été clair que je devais procéder différemment d’un article. Même si toutes mes interventions sont écrites, je les ai rédigées en les lisant à haute voix pour être certaine que ça passait bien à l’oral. Il y a donc une espèce de fausse oralité. Une fausse oralité, qui coche toutes les cases d’un média traditionnel, les codes en moins. En effet, pour Jeane Clesse, qui a créé Basilic en 2017, à l’époque, personne ne vivait du podcast, même aux États-Unis. Ça n’était pas vraiment un sujet, il y avait moins d’enjeux. J’imagine qu’un média traditionnel rencontre ses propres difficultés, notamment dans la période que l’on connaît en ce moment, et je ne sais pas s’ils pouvaient prendre ce risque. Le podcast, un média risqué ? Tout est affaire de perception, mais lorsqu’on décide de faire de la parole « podcastable » une parole qui compte, une certaine implication entre en jeu. 

Une implication, dont l’enjeu n’est autre – et en creux – d’installer le format de façon pérenne, afin de poser en institution cette parole, souvent plus indépendante. J’ai l’impression que les médias plus institutionnels se privent de paroles passionnantes parce qu’ils ont peur de passer pour militants en donnant la parole à des militantes. Le podcast permet la parole militante. C’est ainsi que Titiou Lecoq évoque le lien entre le format et la parole d’engagement. De plus, pour « Rends l’argent », elle nous dit : Quand j’ai pensé au couple et à l’argent, ça m’a paru évident que c’était la bonne forme. J’avais envie de raconter cette histoire de vive voix et de faire entendre les voix des autres. D’autant que sur ce sujet des couples et l’argent, les silences des gens étaient importants, leurs rires quand ils étaient gênés aussi.

Les silences… Encore un élément que le podcast peut se permettre d’inclure sans entrave. À la différence des grands médias, toujours plus rythmés, toujours plus chronométrés, le temps long et intime qu’offre le podcast appelle la libération de la parole, la prise de conscience incarnée de thèmes aussi forts que les inégalités. Mais s’il y a bien un élément qui coïncide, c’est la neutralité de l’animateur.ice. Titiou Lecoq est, par ailleurs, convaincue que ce qu’on appelle la neutralité est une forme d’engagement, c’est l’engagement dans le discours dominant. Pour Jeane Clesse, l’engagement est d’essayer de convaincre qu’il est temps de changer nos comportements, sans juger. Il faut tout le temps marcher sur des oeufs. Tout en restant honnête et transparente.

De la transparence, oui, et le podcast est en bonne voie pour la transformer en institution. Car si ce média est en perpétuelle évolution, s’il dispose de ces propres spécificités, s’il reste quand même un média très thématique (selon Jeane Clesse), il y a encore du chemin à faire pour rendre la parole engagée désirable et attractive pour l’opinion public. Des signaux de moins en moins faible, qui placent l’engagement non comme une revendication, mais bien comme un support pour encourager à faire changer les choses. Ou au moins, à mieux les comprendre. 

Thomas Louis

Rends l’argent, Titiou Lecoq (Slate.fr), 2020

Basilic, Jeanne Clesse, 2017