Donner une seconde vie au papier, notamment au papier journal, c’est l’objectif que s’est fixé Karin Chiron en créant BIS, une entreprise qui produit des sacs à partir de papier recyclé. Dans cet entretien accordé à Feat-Y, elle souligne le travail réalisé par les élèves du BTS CRSA du lycée Pasquet à Arles pour mettre au point la machine servant à fabriquer les sacs recyclés et son ambition de pouvoir toucher l’ensemble de la France via cette production made in France dans les prochaines années. Interview.

Feat-Y : D’où vous est-venue l’idée de lancer BIS ?

Karin Chiron : L’idée m’est venue d’un objet qui existe déjà. Ces sacs conçus à partir de journaux étaient fabriqués en Inde, dans la rue. On trouvait ces sacs comme on trouvait, à une époque, des sacs en plastique dans nos supermarchés.  On y trouve maintenant des sacs en papier kraft. Là-bas, on trouvait ce style de sacs, fait à partir des journaux, avec deux perforations et des lanières simples. Aujourd’hui, on ne les trouve plus aussi facilement…. Il y a quelques années, on m’a ramené un sac comme cela, que j’ai gardé très longtemps. Puis un jour, il s’est défait. J’étais triste de ne plus l’avoir. Donc, comme j’ai l’habitude de tout refaire, j’observe, je décortique et puis j’essaie, j’ai fait mon propre sac. Cela a commencé ainsi.

Karin Chiron : « nous utilisons l’existant pour lui donner une seconde vie »

Feat-Y : Comment se déclinent les types de sacs en papier journal recyclé ? Dépendent-ils de la qualité du papier journal en question ?

K.C : Il y a, effectivement, plusieurs types de sacs. Le BIS original est fabriqué à partir du papier journal, exactement comme les Indiens. Ensuite, j’ai décliné tout un ensemble de sacs de différents formats avec les déchets papier d’entreprises. C’est-à-dire tout type de papier, que ce soit l’affiche de la salle de spectacle, du festival, du musée, au set de table, au plan de ville, au catalogue de présentation de marque etc ….

Aujourd’hui, pour faire ces sacs, j’utilise tout type de papier et déchet d’entreprise. Entreprise est un terme général pour dire que ça peut être une municipalité, des offices de tourisme, des lieux touristiques ou des particuliers, puisque je me suis rendue compte, en faisant évoluer ce projet, que les gens étaient très attachés au papier. Ils ont un rapport très affectif au papier. Il y a des personnes qui m’amènent des revues de 1950 qui étaient dans leur cave et qui appartenaient à leurs parents mais dont ils n’ont jamais voulu se débarrasser et pourtant ils ne les regardent plus jamais. L’idée de me les laisser pour que ça se transforme en sacs leur plaît beaucoup plus que de jeter et de les voir disparaître comme ça. 

L’entreprise va fabriquer de manière à la fois manuelle et mécanique des sacs de même type que les sacs en papier kraft que l’on retrouve partout. Mais au lieu de créer une matière pour faire ces sacs, nous utilisons l’existant pour lui donner une seconde vie. Ensuite, je décline avec des sacs un peu plus créatifs, où je peux utiliser la couture, du cuir et d’autres matières (toujours recyclées). Là, c’est un autre type de sac, un peu plus design, sacs de transports ou sacs à main original et unique. 

Feat-Y : Vous comptez lancer une production industrielle de sacs BIS à partir de juin prochain, en étant implanté dans la zone industrielle d’Arles. Que vous manque-t-il pour assurer pleinement ce départ ?

K.C : J’ai fait fabriquer la machine de construction par le lycée Pasquet, à Arles, avec une classe de BTS CRSA (construction-réalisation de systèmes automatiques). La promotion 2020-2021 fabrique la machine qui va me permettre de produire en plus grande quantité, la production sera à la fois manuelle et mécanique. L’entreprise 3R est créée et elle s’installe au mois d’avril dans ses locaux, avec des employés. J’ai choisi de créer une entreprise d’insertion. Aujourd’hui, ce qui me manque, c’est le nerf de la guerre…du financement pour cette machine. Après, il y a tout l’environnement de l’entreprise à créer, avec les équipements nécessaires pour la fabrication.

Feat-Y : Vous avez sollicité une classe de BTS du lycée Pasquet à Arles pour la fabrication de la machine permettant la production du BIS. Comment avez-vous noué le contact avec le lycée, les élèves et quelles sont les perspectives pour la suite ?

K.C : J’ai beaucoup de chance dans ce projet qui fédère beaucoup de personnes. Je crois qu’il a un bon capital sympathie ce sac. En fait, je suis rentrée dans un programme européen (SMATH) en octobre-novembre 2019. En mars 2020, le BIS a gagné le prix européen de l’innovation. Mais sept jours après, nous étions en confinement ! 

À ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir à mon moyen de production et j’ai compris qu’il fallait que je trouver un moyen de production plus rapide, plus efficace. En sortant du confinement, j’ai rencontré la Direccte, mais aussi la Région, le Département, les fédérations de l’insertion. J’ai rencontré beaucoup de gens et ce sont leurs convictions qui m’ont poussé à créer l’entreprise d’insertion. Avec eux j’ai compris que je ne serai pas seule pour faire tout ça ! 

Dans un même temps je suis allée rencontrer le lycée Pasquet. La première personne que j’ai rencontrée m’a amené directement dans les salles de technologie et j’ai commencé à expliquer le projet. J’ai vu de suite dans les yeux des professeurs et des étudiants, que ça leur plaisait. Je suis revenue et j’ai passé plusieurs heures avec les trois professeurs. Je leur ai montré comment je faisais. On a décortiqué les gestes et pendant plusieurs mois, avec les étudiants nous avons affiné le cahier des charges de la machine, c’est comme ça que ça a commencé. 

C’est incroyablement enrichissant de travailler avec eux, ils m’apportent beaucoup, ils m’obligent à réfléchir de façon plus pertinente à la machine de production. Ils me font beaucoup progresser.

Feat-Y : Comme il s’agit d’une production industrielle, quelle échelle spatiale visez-vous pour que BIS puisse être viable ?

K.C : J’ai bâti mon projet pour qu’en trois ans, nous soyons totalement autonomes et qu’il y ait aussi un maillage très rapide sur tout le territoire national. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, personne d’autre ne fabrique des sacs comme ça. Pour commencer, je produirais évidemment de manière régionale mais ce projet a toutes les capacités pour s’étendre rapidement. 

Le BIS est une solution innovante, il valorise l’économie circulaire et inclue le recyclage, le reconditionnement et une conception écologique.

C’est un objet à chaque fois unique et original. Sa fabrication permet de réduire l’ensemble des déchets destinés au stockage ou à l’incinération. C’est également un support de communication pour les entreprises. On sait que 85% des passants remarquent les messages imprimés sur les sacs en papiers qu’ils voient dans la rue. D’autant plus s’ils sont apposés sur un sac original comme le BIS, qui est en lui-même un signe fort d’engagement du consommateur au geste écologique. 

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Lien de la campagne de crowfunding:

https://www.zeste.coop/fr/lebisecologique