Le niçois David Cardoso est devenu en quelques années la référence dans le monde du tatouage. Il y a sept ans, il a ajouté une corde à son arc, en intégrant la confrérie des tatoueurs des Yakuza, la mafia japonaise. Un univers qui n’admet pas la médiocrité qui est sanctionnée par l’amputation des phalanges.
C’est un univers situé entre ombre et lumière à la fois secret et ostensible. Un univers interlope fermé aux non initiés, un univers marginalisé par les autorités japonaises pour lesquelles les Yakuza sont la part sombre et inavouée de cette nation qui dès le 17ème siècle a fait le choix de la modernité.
Mais leur vérité se situe au-delà des apparences et du rôle des maudits que les autorités leur attribuent, les privant d’un droit de posséder des biens, une voiture, un simple compte en banque depuis la loi de 1992. Mais leur univers se situe à une autre échelle, comme nous l’explique le niçois David Cardoso qui a été admis dans leur intimité en devenant l’un de leurs tatoueurs officiels.
L’itinéraire d’un occidental dans le monde yakuza
Rien ne prédestinait David Cardoso à devenir l’élève de Maître Honda et du Maître Nakamura et d’accepter de rentrer dans une famille spirituelle et de devenir le fils du premier et petit fils du second.
L’histoire de David se déroule dans un premier temps à Paris et à Anvers où il devient gemmologue en obtenant en 2006-2007 le plus haut diplôme de la discipline. Mais il se passionne pour la Renaissance italienne, la sculpture et incidemment, il découvre cet art qui se dessine sur la peau, grâce au tatoueur Evgenyi auprès duquel il part se former en Ukraine. De retour à Nice il peaufine sa technique dans un studio professionnel avec une star du métier dont l’activité se déroule entre Nice et Las Vegas.
C’est le hasard combiné à un goût très prononcé pour le Japon et l’irezumi qui va lui permettre de rentrer en relation avec Maître Honda, via les réseaux sociaux : « Facebook permet de côtoyer des célébrités, je suis tombé sur un profil écrit en japonais avec un logo, par la suite j’ai su qu’il s’agissait du blason d’un clan. La personne avec qui je correspondais et qui appréciait mes dessins et photos se présentait comme étudiant depuis 25 ans ».
Il comprendra très vite que dans l’univers clos des tatoueurs japonais, l’apprentissage est l’affaire d’une vie, tout comme il comprend aussi que son mystérieux interlocuteur n’est autre que l’un des maîtres de cet art, Maître Honda, élève du Maître Nakamura, ancien Boss des Yakuza.
Pendant plus de deux ans David sollicite son admission comme étudiant auprès de Maître Honda, mais la réponse est invariablement négative. Un jour, le discours se fait moins catégorique et ce dernier l’interroge sur sa motivation et s’il connaît les risques qu’il y a à intégrer la confrérie : « il m’a dit qu’il allait demander à Maître Nakamura s’il était d’accord pour que je devienne apprenti, et il a ajouté : mais si sa réponse est négative, elle le sera définitivement ».
Un mois après David prend l’avion pour le Japon et sera accueilli chez Maître Honda à Fukuoka. Il deviendra un deshi, apprenti tatoueur et son temps d’observation durera 6 mois, au cours desquels il sera affecté aux tâches d’intendance, il dormira sur un tatami et une fois les tâches ménagères achevées il obtiendra le droit d’assister de loin aux tatouages des Yakuza. Quelque peu surpris par sa présence, ils interrogent Maître Honda et sont intrigués par la présence d’un occidental aux côtés du grand Maître : « étant adoubé par Nakamura, ils m’ont accepté ». Mais David frôle par deux fois l’amputation de la phalange, châtiment réservé à ceux qui ont commis des fautes pour manquement à l’étiquette et au code des Yakuza. Ce qui le sauve c’est l’intervention d’une traductrice qui fait comprendre à ses Maîtres que David ne maîtrise pas la langue et les codes de la confrérie.
Brillant dessinateur, il apprend vite, même si les techniques du tatouage japonais ne sont en rien comparables à celles en vigueur en Occident. Au terme de sa formation, il obtiendra le droit de tatouer les personnes de l’entourage du Maître, car toute erreur serait un affront fait à ce dernier. Une fois aguerri, il prêtera serment pour être admis au sein de cette confrérie qui perpétue l’art du tatouage.
Le tatouage un art honni au Japon
Contrairement à l’Occident où le tatouage se dévoile, au Japon il est caché et honni et David parle de « Suicide social », car il est considéré comme étant l’apanage des Yakuza. C’est au 17ème siècle sous la dynastie Edo que les prisons marquent les bandits, voyous qui tombent entre les mains de la Justice d’une marque indélébile, afin de pouvoir suivre à la trace ces repris de justice, une fois revenus à la vie en société.
Mais les Yakuza, contrecarrent cette volonté de marquage en la noyant sous les tatouages qui depuis lors fait parti de leur identité.
David sera invité à tatouer les chefs de clan, mais aussi les hommes de mains : « l’irezumi se fait sur l’ensemble du corps et ce sont les Boss qui choisissent les motifs pour leurs hommes qu’ils considèrent comme leurs enfants, en fonction de leur personnalité et de leurs qualités ou défauts ». Les thèmes sont empruntés à la religion shintô, aux contes et légendes chinoises avec une prédilection pour l’histoire intitulée « au bord de l’eau » qui retrace les péripéties de 108 brigands.
David sait qu’il devra encore apprendre et même s’il maîtrise désormais les techniques, le travail des aiguilles reste l’un des points les plus délicats de cet art. Désormais il appartient à cet univers que les autorités japonaises veulent oublier et aimeraient rayer de la société. Le point de vue de la population est beaucoup plus nuancé car les yakuza ont un code de l’honneur, le Ninkyodo qui leur impose de secourir leur prochain. David relate que les clans, après le tsunami sont venus en aide à la population plus rapidement que l’Etat « je me souviens aussi d’une conversation quelque peu surréaliste entre mon Maître et un Boss qui avait sorti une liste de produits de première nécessité à acheter pour les enfants, suite au tsunami. Il lui avait demandé où il pourrait trouver des couches pour bébés ».
Tout comme le clan Yamaguchi-gumi qui avait ouvert un site dans lequel il menaçait de représailles les dealers, si ces derniers s’avisaient de vendre de la drogue à la jeunesse japonaise. Mais rien venant des Yakuza ne pouvant trouver grâce aux yeux des autorités japonaises, le site fut fermé. On n’accepte difficilement l’aide de ceux que l’on considère comme les parias d’une société.
Lea Raso Della Volta
David Cardoso, Japanese Traditional Workshop, Bushin. https://bunshinworkshop.weebly.com/