Aurélie Dejoie : « Notre objectif, c’est d’offrir un outil complémentaire à tous ces projets dont nous partageons les valeurs »

Mener à bien un projet de financement participatif éthique ? C’est ce que propose Zeste, la plateforme de crowdfunding lancée par la Nef depuis 2016 auprès d’entreprises ou d’associations, de manière à « s’adapter à chaque projet et à chaque porteur de projet », selon Aurélie Dejoie, la référente Zeste qui a accepté de répondre aux questions de Feat-Y sur cette plateforme et ce que cette plateforme a pu réaliser depuis quatre ans. Interview.

Feat-Y : Pourriez-vous rappeler l’histoire de la Nef ?

Aurélie Dejoie : La Nef est une société financière qui a été créée en 1988. À la base, c’était une association de quelques personnes qui cherchaient à investir dans une école alternative pour leurs enfants, en pleine campagne. Mais ils ne trouvaient pas de banque. Alors, ils se sont associés entre eux pour pouvoir financer cette école. Ça, c’était en 1978. Plus tard, observant d’autres projets, s’inscrivant dans une démarche alternative (bio, éthique, retraçable…) pour lesquels les banques d’alors ne montraient aucun intérêt, ils se sont dit qu’il y avait quelque chose à faire. Ils ont donc créé la société financière pour aider ce type de projet à trouver des financements. L’idée de la Nef, c’est de retrouver la première vocation d’une banque ; c’est-à-dire constituer de l’épargne auprès des citoyens et d’utiliser cette épargne pour financer des projets de l’économie réelle. La Nef ne s’inscrit pas, et ne s’inscrira jamais, dans les marchés spéculatifs et elle cherche à avoir un circuit fermé autour de l’argent. C’est-à-dire qu’elle utilise l’argent de l’épargne des citoyens et finance ainsi des projets basés sur des critères d’éligibilité qui lui sont propres, à savoir qu’un projet doit s’inscrire dans l’un de ces trois domaines que sont l’écologie, le culturel ou le social. Sur cette base-là, un projet peut prétendre à un financement à la Nef. Bien sûr, il faut que le projet soit viable, avec un plan de financement qui soit cohérent avec le domaine d’activité dans lequel il s’inscrit.

Feat-Y : Pour quelle(s) raison(s) la Nef a lancé sa plateforme de financement participatif, appelée Zeste, et quel est l’objectif recherché ?

A.D : Ça s’est passé en 2015, quand des emprunteurs de la Nef nous ont demandé s’il y avait un système de financement participatif chez nous. Ils recherchaient à avoir cette brique complémentaire dans leur plan de financement, mais ne trouvaient pas vraiment leur bonheur sur les différentes plateformes de l’époque. Ils cherchaient à avoir une certaine cohérence dans leur démarche. Ils se sont approchés de nous pour savoir si on faisait cette formule et c’est vrai que c’est quelque chose qui était dans les tiroirs. Alors sur demande de ces emprunteurs, on s’est dit : « on se lance ». En 2015, on lance la version bêta de Zeste et en 2016, Zeste a été baptisée. On s’est officiellement lancé à ce moment-là. Notre objectif, à travers cette plateforme, c’est d’offrir un outil complémentaire à tous ces projets dont nous partageons les valeurs. D’essayer de les accompagner dans toutes leurs démarches de financement.

Feat-Y : Quels sont les critères pour être admissible à cette plateforme ?

A.D : Ce sont les mêmes critères d’éligibilité que ceux de la Nef à la différence que nous ne demandons pas d’étudier leur business plan. À noter que tous les projets Zeste ne sont pas forcément des emprunteurs de la Nef. On n’est pas obligé de contracter un prêt à la Nef pour être soutenu sur Zeste. Tous les projets n’ont pas forcément, à l’origine, un prêt bancaire. Pareillement, ce n’est pas en faisant une campagne sur Zeste que vous avez un prêt bancaire à la Nef.

Nous accompagnons donc tous les projets (associations et entreprises) dont la démarche s’inscrit dans l’écologie, le social et/ou le culturel.

Feat-Y : Combien de projets ont été soutenus par la Nef, via la plateforme Zeste, jusqu’à présent ?

A.D : Alors, Jusqu’à présent, 470 projets se sont terminés, ont été soutenus sur Zeste. Et ce sont 2.826.000 euros qui ont été collectés au total. Et à la date de notre échange, 17 projets sont en cours, ceux-ci s’ajoutent au compteur.

Feat-Y : Est-ce qu’à terme, la Nef a pour ambition de pouvoir soutenir des projets de financement participatif en-dehors de la France, par exemple en soutenant des projets en provenance de pays francophones, ou est-ce une échelle trop large ?

A.D : Pour l’instant, c’est une échelle un petit peu trop large. On est contraint par plusieurs réglementations, parce qu’on appartient à 100% à la Nef. On fonctionne exactement comme elle. Pour nous, c’est compliqué de soutenir des projets à l’étranger parce que les documents ne sont pas exactement les mêmes. On n’est pas en mesure de pouvoir faire un suivi avec autant d’attention que si c’est un projet venant de France ou des DOM-TOM. Ce serait, effectivement, quelque chose qui nous intéresserait. On a pensé à la Belgique, à la Suisse. Mais pour l’instant, c’est en stand-by.

Feat-Y : Vous parliez, à l’instant, des DOM-TOM. Quelle part des projets soutenus par la Nef est originaire des DOM-TOM ?

A.D : C’est assez anecdotique. De mémoire, il doit y avoir quatre ou cinq. C’est vraiment très peu par rapport au nombre de projets qu’on a.

Feat-Y : Est-ce que l’initiative de la Nef pourrait être appuyée par d’autres institutions financières, qui deviendraient des partenaires, selon vous ?

Aurélie : Pour Zeste, la recherche de partenaires institutionnels n’est pas à l’ordre du jour. Pour la Nef, c’est différent. La Nef a des besoins qui lui sont propres. Avoir des partenaires institutionnels lui serait sans doute profitable. Pour Zeste, on n’en est pas là. On est plutôt à la recherche de partenaires dans le réseau de l’économie sociale et solidaire. Typiquement, on est en train de parler avec le Réseau Vrac, Alternatiba, Les Cigales AuRA… ce type de réseau-là, qui accompagne énormément de projets sur le terrain et qui, pour certains, peuvent avoir besoin de financements participatifs. Typiquement, on est en train de se rapprocher ce type de réseau pour fonder un partenariat de visibilité et d’accompagnement personnalisé.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin