par David Xoual

Jean Echenoz, l’un des stylistes les plus doués de ces dernières décennies, pastiche le roman
d’espionnage dans Envoyée spéciale paru en 2016 aux éditions de Minuit. Comme toujours chez le
lauréat du Goncourt 99, les phrases sont ciselées façon dentelière de Calais, le scénario digne d’un
Christopher Nolan en grande forme…
Autant prévenir le lecteur, il ne se passe rien et pourtant beaucoup de choses dans Envoyée spéciale.
Ajoutez à cela un humour propre à l’auteur qui nous fait sourire au détour d’une phrase, d’un mot
qui tombe comme un cheveu sur la soupe. Mais, revenons à l’intrigue foutraque, ludique, absurde.
Soit l’histoire de Constance – « une coupe à la Louise Brooks et des courbes à la Michèle Mercier » –
qui va être enlevée par des barbouzes du dimanche dirigés par un certain Paul Objat dont la gueule
fait penser à Billy Bob Thornton. Le mari de Constance, qui a connu « un événement musical et
commercial rare », ne semble pas très attristé par sa disparition. Pas même quand il reçoit une
phalange par la poste. Heureusement, son frère, un avocat véreux va lui venir en aide. Ou pas. Le
mari de Constance préfère se taper l’assistante de son frérot. Et nous voilà embarquer dans leur
quotidien de néo amoureux. Tout traine, et tout s’imbrique harmonieusement dans ce polar où les
personnages portent le fardeau de vivre, un poids lourd comme une porte cochère, des vies
minuscules chères à Pierre Michon, le grand auteur et ami de Jean Echenoz. Amateur de cinéma et
de la série noire de Gallimard, Echenoz se joue de nous à travers un scénario savamment ficelé. Un
script digne d’un mécanisme de haute horlogerie. Mais, revenons à nos moutons secrets.
L’enlèvement se passe bien, Constance semble même heureuse dans ce coin de la Creuse. On fait des
barbecues, on boit des coups, on s’occupe des fleurs… Et puis bon, va falloir faire quelque chose pour
cette intrigue qui avance cahin-caha. Direction la Corée du Nord pour Constance. L’objet de son
enlèvement se précise mais bien malin celui qui pourra deviner la fin… Après avoir délaissé la fiction
pour s’inspirer de personnages réels dans le formidable Ravel (2006) et l’excellent Courir avec
l’athlète Emil Zatopek, Envoyée spéciale signait le grand retour d’Echenoz dans le monde de
l’imagination. Une pépite à lire malicieusement.


Envoyée spéciale, Jean Echenoz, Editions de Minuit