Par David Xoual

Toujours en lice pour le prochain Goncourt, le premier roman du politologue Giuliano da Empoli nous plonge dans les arcanes du pouvoir poutinien, avec en filigrane, les atermoiements d’un pays encore marqué par la chute de l’URSS.
Après le succès de ses essais tels que Les Ingénieurs du chaos et ses spin doctors ès populisme, l’ancien conseiller de Matteo Renzi se lance dans l’arène littéraire sans crier gare et avec un certain brio. Et quoi de mieux que la politique, en l’occurrence Poutine et son ancien conseiller Vladislav Sourkov, pour joindre l’utile à l’agréable. Chez Giuliano da Empoli, la littérature et les affaires publiques sont indissociables comme le rappelle l’intéressé : « La littérature est l’antidote au pouvoir et le pouvoir est l’antidote à la littérature. » Dans Le Mage du Kremlin, le néo romancier joue la carte du classicisme sur le plan formel ; soit un narrateur/universitaire en périple à Moscou qui, grâce à une série de tweets érudits, va avoir l’honneur de rencontrer le mystérieux Vadim Baranov, ancienne éminence grise de Poutine. L’homme, retiré par peur et de force du Kremlin, vit dans une demeure cossue au milieu des bois. Il y a un feu qui crépite, et les souvenirs qui s’amoncèlent. A l’image du véritable Vladislav Sourkov, le personnage de Vadim confesse sa première vocation, celle d’être poète et metteur en scène (Sourkov a d’ailleurs publié plusieurs romans sous pseudonyme). Dans le roman, Vadim renonce à cette carrière sans le sou quand sa copine se tire avec un homme tiré à quatre épingles. A quoi bon écrire quand on peut gagner de l’argent facile et peut-être reconquérir sa bien-aimée ? Avant de rejoindre les ors du pouvoir, Vadim évolue dans l’audiovisuel, tisse des liens jusqu’à sa rencontre avec Poutine, un ascète version tchékiste qui n’aime ni boire ni fumer. La machine est en marche. Avec son expérience de producteur, Vadim va aider Poutine à se hisser au sommet du pouvoir. Le basculement s’opère juste après les attentats de 1999 qui touchent Moscou.
Devant les caméras, le président du gouvernement de la Russie – regard glaçant et mâchoire d’acier– déclare qu’il traquera « les terroristes jusque dans les chiottes ». La popularité de Poutine décolle, il sera élu président, succédant à Eltsine dont la cuite médiatique face à un Clinton hilare a fortement marqué l’opinion. Retour à l’homme fort cher au peuple russe, selon le personnage de Giulano da Empoli. Une verticalité du pouvoir, et par conséquent, un isolement qui aujourd’hui interroge et inquiète. Dans Le Mage du Kremlin, le lecteur plonge littéralement dans la psyché russe. Les Oligarques ne sont pas tant de grossiers personnages exhibant leur pognon que des hommes qui savent que cela ne durera pas. Alors, autant brûler la chandelle par les deux bouts. Au style fluide et érudit de l’auteur se greffent des anecdotes bien réelles comme la rencontre entre Merkel et Poutine accompagné de son labrador. La chancelière a une peur bleue des chiens… L’histoire de Vadim se poursuit jusqu’au Jeux Olympiques de Sotchi qu’il est chargé d’organiser. L’Histoire, elle, ne sait pas comment elle se terminera. A lire d’urgence…

Le Mage du Kremlin, Giuliano da Empoli, aux éditions Gallimard