Drôle de zigue que ce Paul Guimard, auteur renommé et récompensé dont l’œuvre est étrangement absente de nos librairies. Et pourtant, le mari de Benoite Groult connut son heure de gloire avec des romans au style unique et incisif mêlant impertinence et humanisme. Chez lui, le destin, toujours le destin. Celui qui dérape, qu’on essaye de provoquer avec plus ou moins de succès. On lui doit notamment Les Choses de la vie porté à l’écran par Claude Sautet. En 1957, son court roman Rue du Havre reçut le prix Interallié. Encore une fois, une histoire de destin et de petites gens perdus dans les circonvolutions de l’après-guerre. Un roman d’une fraicheur revigorante…

En moins de 200 pages, Paul Guimard dit tout de l’homme moderne, de sa solitude et de ses espoirs passés au pilon de la productivité. Pour cela, trois personnages et une intrigue truculente. Julien, la soixantaine, vieux garçon sans attache et sans rêve, vend des tickets de loterie autour de la gare Saint-Lazare. Chaque jour, le pauvre bougre croise un homme et une femme. Dans sa tête, Julien marmonne et ressasse. Il est certain que ces deux-là sont faits l’un pour l’autre. Malheureusement, le train de François arrive à 8h41 quand celui de Catherine débarque à 8h52. « Une éternité de 11 minutes » pour Julien qui décide de prendre les choses en main. C’est décidé, il va provoquer le destin. La suite se lit comme un page-turner où il n’y aurait ni victime, ni coupable à confondre. Ici, le Verbe se suffit à lui-même, il est à l’aise, il brille à tout moment. Chez Guimard, chaque mot sonne juste, les phrases sont précises, les sentences précieuses, les métaphores mordantes, presque entêtantes. Il y a le train de banlieue se muant en prison, la foule de Saint-Lazare qui ondule à la manière de l’océan… Paul Guimard aime ses personnages. Pourtant, il ne leur épargne rien des vicissitudes de la fortune. Une critique du monde moderne plutôt qu’une poussée de misanthropie. L’ombre des Trente Glorieuses plane, les trois huit plombe le quotidien des anonymes et Paul Guimard, jubile.  Rue du Havre, Paul Guimard, éditions Denoël

par david Xoual