Une réinvention de l’activité économique doit s’opérer pour la décarboner et répondre au défi du changement climatique. C’est la raison d’être de Time for the Planet, entreprise fondée fin 2019, qui veut lancer des entreprises à vocation mondiale pour lutter contre le changement climatique. Coline Debayle, cofondatrice de la société, s’est entretenue avec Feat-Y pour expliquer le fonctionnement citoyen, démocratique, de Time for the Planet, les objectifs qu’elle s’est fixée et méthodes utilisées pour consolider des projets tenant la route. Interview.
Feat-Y : Est-ce que Time for the Planet fonctionne comme une entreprise classique, notamment dans la répartition des voix entre actionnaires ?
Coline Debayle : Time for the Planet ne fonctionne pas comme une entreprise classique. Elle a le statut de société commandite par actions. Ce qui veut dire qu’il y a deux groupes d’actionnaires. D’abord, les commandités, c’est-à-dire les gérants, les cofondateurs, qui portent le risque juridique et qui s’occupent de l’exécution au quotidien. Puis, les commanditaires. Ce sont tous les autres associés, aujourd’hui 20.000 personnes, qui ne portent pas le risque juridique mais qui sont convoquées en assemblée générale pour voter sur le choix des innovations, sur des sujets de gouvernance. La loi française oblige à respecter la règle de « un euro = une action = une voix » comme une action. Mais pour accueillir plein de gens différents, notamment des gros investisseurs, tout en conservant la vision citoyenne, on va faire passer à l’assemblée générale de juin prochain une résolution proposant un double comptage des voix avec la deuxième règle « une entité = une voix ». Quelqu’un qui a mis 100 millions d’euros, ou quelqu’un qui a mis 10 euros, le poids sera le même. Si jamais on se rend compte que cette majorité citoyenne n’est pas obtenue, un veto automatique sera déposé. Dans l’idée, ça permet de conserver le mouvement citoyen.
Feat-Y : Quels ont été les éléments déclencheurs de la fondation de votre société ?
C.D : Au départ, on est six entrepreneurs, trentenaires. Nous avons monté des boîtes dans des sujets qui n’avaient rien à voir avec le développement durable. Puis, on a eu une grosse gifle, une grosse prise de conscience il y a deux ans, considérant depuis qu’on ne peut plus continuer comme avant. On a tous quitté nos boîtes respectives pour créer bénévolement Time for the Planet, en disant qu’il n’y a pas d’outil citoyen capable de lutter à grande échelle et que les évolutions des lois, des gestes du quotidien, vont trop lentement. On s’est dit qu’il fallait inventer un nouvel outil, titanesque, avec une ambition à la hauteur du problème. C’est pour ça qu’on a créé Time for the Planet.
Feat-Y : Sur votre site, vous affichez l’objectif de rassembler un milliard d’euros pour créer 100 entreprises porteuses de solutions contre la montée des émissions de gaz à effet de serre. Qu’en est-il, à l’heure actuelle, et à quelle échéance cet objectif doit-il être atteint ?
C.D : On existe depuis un an et cinq mois. On a rassemblé près de quatre millions d’euros, avec 20.000 associés, dont des entreprises, des ONG, des collectivités territoriales. On a créé un comité scientifique, avec des chercheurs issus des plus prestigieux laboratoires comme le CNRS, le CEA ou l’INRAE, qui sélectionnent les innovations. Pour notre objectif d’un milliard d’euros et de 100 entreprises, on ne peut pas dire quand est-ce qu’on l’atteindra. C’est un cap qu’on s’est fixé, une vision qu’on s’est donnée. Peut-être que ce sera dans 10 ans, dans 15 ans. Ça dépend de la vitesse à pouvoir lever des fonds, de la vitesse à laquelle les entreprises créées performent et permettront de réinvestir ensuite. Notre objectif pour 2021, c’est d’atteindre 10 millions d’euros, de créer nos trois premières entreprises et de préparer l’internationalisation.
Feat-Y : Quels sont les principaux secteurs d’activité auxquels vous aspirez à voir la création d’entreprises via l’objectif énoncé ci-haut et sur quels critères validez-vous des projets ?
C.D : On cherche des innovations qui répondent à 20 problèmes qu’on a identifiés, issus des cinq secteurs les plus carbonés. À savoir l’agriculture, le bâtiment, le transport, l’énergie et l’industrie. On cherche des innovations qui correspondent à quatre besoins : produire des biens et services sans émissions de gaz à effet de serre ; efficacité énergétique ; sobriété ; captation du carbone. Ensuite, on regarde et on accepte des innovations high tech, des innovations low tech, des innovations de business model. On ne regarde pas tout ce qui n’a pas de rapport direct avec les gaz à effet de serre. Par exemple, le plastique ou la biodiversité. Et on ne regarde pas sur des sujets purement locaux. On veut que ce soit réplicable à l’échelle mondiale. Pour les critères permettant de juger une innovation, on a plus de 3.500 évaluateurs bénévoles qui analysent. On a le comité scientifique qui va pousser plus loin sur la faisabilité, la pertinence, en termes d’impact. On a six critères, dont l’impact sur les gaz à effet de serre, les externalités comme une amélioration, ou pas, de la situation sociale, de la biodiversité, etc. il y a la taille de marché, à savoir des clients potentiels pour cette innovation afin que la société puisse gagner de l’argent. Il y a la question de la compatibilité avec l’open source car on met immédiatement nos innovations en open source. Ou encore, il y a le critère de la faisabilité technique, pour savoir si c’est réaliste.
Feat-Y : Par-delà votre modèle d’organisation, est-ce un moyen de développer une alternative à un modèle économique énergivore et inégalitaire ?
C.D : On n’a pas de vocation politique. Notre seul angle, c’est l’action. On veut transformer et décarboner l’économie. On pense qu’il y a plein de manières pour ça. Il y a la régulation politique. Il y a la sobriété. On le fait à notre échelle. On n’a pas les moyens pour le faire à très grande échelle. Les scientifiques disent, notamment le rapport du GIEC, qu’on a besoin d’innovation. C’est ce levier-là qu’on pense avoir entre nos mains et on peut le faire tous ensemble. C’est ça qu’on propose. Est-ce qu’il faut changer le modèle économique ou pas ? Ce n’est pas entre nos mains. On aurait pu attendre qu’il y ait une révolution, que le modèle économique soit complètement chamboulé. Mais on aurait juste passé notre vie à attendre, parce qu’on trouve que ça ne va pas dans cette direction. Ce qu’on choisit de faire, c’est de jouer sur le terrain de jeu économique, tel qu’il est, et juste de changer quelques règles pour aller beaucoup plus vite.
Feat-Y : Est-ce que la crise sanitaire, qui a mué en crise économique, apporte un argumentaire supplémentaire dans votre démarche économique ?
C.D : Maintenant, comme on a tous fait l’expérience du confinement et qu’on s’est rendu compte que l’effondrement de la biodiversité a un impact extrêmement concret sur nos vies, nous empêchant de vivre comme avant, les gens ont compris qu’on commençait à se prendre le retour de boomerang dans la figure et qu’il va falloir faire quelque chose. Il y a déjà eu une prise de conscience en 2018. La crise actuelle ne fait que l’accroître. Après, cette crise a rendu les gens plus vulnérables, avec moins de moyens financiers. Par exemple, il y a des entreprises qui, à une époque, auraient pu nous financer et qui, aujourd’hui, n’y parviennent pas forcément.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
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