Elle appartient à cette catégorie de personnes capables de modifier le cours des choses, d’apporter un nouveau regard sur leur profession et d’en redéfinir les objectifs. Layla Skalli est une architecte éco-responsable qui créé dans le respect de l’environnement mais aussi de l’âme d’un site.
Convaincre de la nécessité de pratiquer une architecture respectueuse de l’histoire d’un lieu, d’un environnement, dans un pays touristique comme le Maroc, où dans les années 1970 l’on a bâti d’après des standards internationaux, relevait de la gageure.
Layla Skalli en a toujours été persuadée, le Maroc, n’a pas besoin de Marina, de grands complexes hôteliers, car il possède un patrimoine riche qui constitue son identité de mettre en valeur ces pépites souvent négligées.
En 2008, fraîchement diplômée de l’école d’architecture de Paris, elle réussit un coup de force en défiant les usages et fait tabula rasa de pratiques bien ancrées : « le rôle de l’architecte est celui de l’engagement. Il doit militer pour une architecture qualitative, mûrie, pensée, en terme d’implantation urbaine, de prise en compte des atouts naturels du site, de mise en valeur des données sociales et culturelles et non de jouer le jeu du quantitatif et de la rentabilisation irraisonnée ».
Et en 2008, premier grand chantier sera la Medina de Fès.
La renaissance de la Medina de Fès
Son métier, elle le conçoit comme un sacerdoce, dans un esprit esthétique mais aussi militant car il doit être soucieux de l’intérêt, comme elle se plaît à le rappeler : « la genèse d’un quartier, d’un village, d’une ville, faits d’équilibres sociaux, de morphologies urbaines harmonieuses et ponctués d’architectures d’exception, lieux de jonction de fonctions, de dynamiques différenciées et de quotidiens pluriels, faisant sens. L’architecture ne s’affiche pas non plus tel un trophée gagné par les ego en concurrence, elle est au service de la vie et cherche en guérir les maux. »
A tout juste 33 ans, Layla n’alors qu’une idée en tête, faire renaître un joyau du patrimoine national, la Medina de Fès qui l’a vu naître, et où l’insalubrité menace à la fois les édifices, mais aussi le quotidien des habitants de la Medina : « On peut trouver neuf familles vivant sous le toit d’une maison du 14ème siècle – soit 1 mètre carré par personne ! », ajoute Layla.
Un crève-cœur pour la jeune architecte qui voit dépérir ce joyau du monde arabe désormais voué à une lente et irréversible décrépitude. Elle créé un programme qu’elle baptise du nom de Ziyarates Fès, un concept de «Logement chez l’habitant» qui lui permet de conjuguer architecture et social, le passage et la circulation, donc la communication vont redonner vie à ce lieu trop longtemps délaissé.
« Le programme a permis de restaurer 27 monuments, mais aussi 4 000 maisons qui nécessitaient des rénovations ! Pendant des années, la médina a été oubliée. Puis, grâce notamment au Festival des Musiques sacrées, il y a eu un regain d’intérêt, notamment de la part des étrangers, pour cet ensemble architectural unique. Mais la médina se doit d’être une ville vivante, agréable pour ses habitants – or, les problématiques sont multiples : surpopulation, manque d’infrastructures, système d’assainissement des eaux obsolète… »
Pour générer les fonds nécessaires à sa restauration et permettre d’entretenir ce musée à ciel ouvert, Layla a convaincu 27 familles d’ouvrir leurs demeures à des hôtes de passages. Coût de la chambre: 35 euros la nuit dans des riad d’une beauté à couper le souffle. Une opération qui a eu pour objectif de créer un passage au cœur de la medina, et par conséquent de faire connaître le patrimoine de Fès aux touristes étrangers.
« Les voyageurs partagent un moment avec des familles fassi, et les revenus générés permettent aux familles d’entretenir leurs maisons – qui restent ainsi un élément de patrimoine familial ! Ensuite, nous devons nous préoccuper du cœur vivant de la médina : nous avons un devoir de préservation du patrimoine immatériel, mais aussi du patrimoine immatériel. Le patrimoine soufi, par exemple, est considérable. Il y a des centaines de zaouïa, des maisons-mères qui accueillent les confréries soufies mais qui sont dans un état piteux, et où les disciples se réunissent de moins en moins. Nous proposons des itinéraires vivants dans la médina : visite de zaouïa et rencontre avec les membres de la confrérie. »
Ce premier succès lui a permis de se tailler une réputation d’architecte éco-responsable et d’être connue dans le monde puisqu’elle est aussi consultante auprès des Nations-Unies pour les questions environnementales, mais il voit poindre la volonté de l’architecte de faire rimer patrimoine et culture.
Lauréate du concours international Green Solutions Awards
En 2008, cette créatrice donne imagine une agence engagée dans projets alliant architecture et développement humain. “Architextures” réaliste dans l’arrière pays de Sefrou de toilettes sèches, mais aussi des projets d’architecture et d’urbanisme écologiques et durables de tailles et d’ambitions variées qui vont de petites maisons individuelles, écologiques aux grands centres à représentation nationale.
C’est d’ailleurs l’un d’eux qui lui vaudra en 2019 une récompense aux Green Solutions Awards, dans le prix Catégorie « Énergie & climats chauds », pour la réalisation du Centre de l’Education à l’environnement (CEE), mitoyen aux jardins exotiques de Bouknadel. Une opération initiée par la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement.
Layla Skalli conçoit un bâtiment contemporain très lumineux à l’allure élégante et construit en terre, de conception bioclimatique, fait de matériaux bruts assumés. Fidèle à son credo elle le veut à la pointe de la technologie, au service de l’écologie, du bien-être, du confort d’usage et santé.
À l’intérieur, la structure des murs construits en terre permet le stockage de la chaleur et sa restitution lente, une technique qui a fait ses preuves et que Layla a pu observer dans les villages marocains bâtis en pisé.
Au niveau des jardins extérieurs, elle a prévu 274 m² de panneaux photovoltaïques de 168 modules fournissent l’énergie nécessaire au fonctionnement du bâtiment et de l’ensemble de ses annexes avec un pourcentage de couverture des besoins dépassant les 90 % (et plus de 30 % . Le bâtiment a été conçu pour fonctionner en quasi autarcie, puisqu’une station de traitement des eaux usées est installée pour couvrir complètement les besoins en arrosage de l’ensemble des jardins et espaces verts entourant le Centre.
Plus que jamais, cette créatrice un brin visionnaire souhaite aller plus avant dans la fusion entre les arts et le développement durable. Son objectif reste inchangé : remettre « l’humain au centre de la cité et lui redonner sa place ». Aussi, elle collabore activement avec le monde artistique et culturel marocain, en prenant notamment une part active au Festival des musiques sacrées de Fès qui a vu le jour grâce à la Fondation Esprit de Fès, dont Layla Skalli est la directrice du Pôle Stratégie et Développement.
Lea Raso Della Volta