On connaît en partie le Luberon pour le chant de ses cigales, son soleil généreux et ses champs de lavande à perte de vue. En revanche, voilà de cela quelques années, peu s’imaginaient le bras de fer engagé entre Pierre Cardin et les habitants de Lacoste, cité médiévale de 400 âmes. L’écrivain et journaliste Cyril Montana, l’enfant du pays, a souhaité raconter en images l’influence du couturier sur son village d’enfance. Les buts : alerter l’opinion, mais aussi préserver le patrimoine de Lacoste. S’en sont suivis cinq ans de travail, une rencontre avec le producteur et réalisateur Thomas Bornot et une quarantaine de projections en 2020. Aujourd’hui, « Cyril contre Goliath » est candidat aux César du meilleur scénario et du meilleur documentaire.

Tout commence en 2001, lorsque Pierre Cardin rachète le château du Marquis de Sade pour le restaurer. Son acte généreux se transforme en folie immobilière : les années passant, il se retrouve bientôt propriétaire d’une quarantaine de maisons, une dizaine de boutiques et quarante hectares de terrain. Le problème, c’est qu’il n’en fait rien, si ce n’est exposer ses créations dans des boutiques laissées éclairées jour et nuit. Certes, il est à l’origine du Festival de Lacoste et a permis de créer des emplois pendant un temps, mais le patrimoine local se privatise.

Las de voir Lacoste se transformer peu à peu en village fantôme, le romancier Cyril Montana, installé à Paris, y retourne et prend la plume pour écrire un documentaire sur la situation et le ras-le-bol des habitants. Bientôt rejoint par le réalisateur Thomas Bornot, tous deux bouclent le tournage en 2018. À l’époque, ils n’ont encore ni diffuseur ni distributeur. Quant à leur boîte de production, ils sont contraints de s’en séparer, faute de temps à consacrer à leur projet. Néanmoins, la chance leur sourit lorsqu’un ami producteur, Étienne Druilhe, propose à Cyril Montana de les mettre en contact avec un autre producteur afin d’organiser une projection du film en l’état.

Une aide bienvenue. Les 35 000 euros récoltés en 2015 grâce à un crowdfunding ont surtout servi à produire et tourner le film. Cyril Montana et Thomas Bornot ont toujours besoin de moyens pour la postproduction. Et bingo ! Durant la projection, le réalisateur, scénariste et monteur Yannick Kergoat (qui travaille, entre autres, avec Mathieu Kassovitz, Rachid Bouchareb, Costa-Gavras, et à qui on doit le documentaire « Les nouveaux chiens de garde ») a un coup de cœur pour le documentaire. Il accepte alors d’apporter son aide pour financer la postproduction et emmener « Cyril contre Goliath » jusqu’au monde du cinéma.

Cyril Montana

« Cette bataille a un petit goût de victoire. On est heureux de la vivre ensemble et de la partager avec les autres »

Arrive ensuite la rencontre avec Jane Roger, distributrice de films (JHR Films). En réalité, c’est la deuxième fois qu’elle croise la route de Cyril Montana et Thomas Bornot : ils avaient déjà échangé grâce à leur attaché de presse, Luc Adam. « Étienne, Yannick et Jane possèdent tous les trois un réel intérêt pour le sujet du film. Peu à peu, on s’est constitué une famille de cinéma qui nous ressemble », se réjouit Cyril Montana.

Covid oblige, la sortie de « Cyril contre Goliath », prévue pour avril 2020, est repoussée en septembre. C’est l’heure de la première reconnaissance, avec une sélection au Festival d’Angoulême. Entre deux confinements, Thomas Bornot et Cyril Montana entament une tournée d’un mois et demi pour présenter leur travail dans une quarantaine de salles de cinéma. « Le film a interpellé personnellement le public. Ici et là, certains spectateurs ont fait un parallèle avec une personnalité qui a acheté une colline, une autre qui a fait construire un terrain de golf, etc. ».

Réponse le 9 février

Désormais, « Cyril contre Goliath » vise la cour des grands : le documentaire est éligible aux César 2021 pour les prix du meilleur scénario et du meilleur documentaire. « C’est dingue de se dire qu’un projet autoproduit et issu d’un crowdfunding est maintenant un film officiel. Tout le monde peut prendre une caméra et produire quelque chose aujourd’hui ! » encourage Thomas Bornot. Le 9 février prochain, les deux amis devraient savoir si leur documentaire fera ou non partie des cinq finalistes. Si tel est le cas, ils auront alors le plaisir de le voir en compétition le 12 mars, date de la cérémonie.

Suite au décès de Pierre Cardin, le 29 décembre 2020, le village de Lacoste est encore dans l’incertitude. Si les ayants droit du couturier semblent plus disposés à rendre accessibles les biens acquis, l’heure est néanmoins à la prudence. Pour Cyril Montana et Thomas Bornot, « Cyril contre Goliath » n’est qu’une première étape pour se faire entendre ; pour Lacoste, mais aussi pour toutes les régions du monde où la situation ressemble à celle des Lacostois. « Cette bataille a un petit goût de victoire. On est heureux de la vivre ensemble et de la partager avec les autres », avoue Cyril Montana.

L’aventure ne s’arrêtera pas de si tôt. Thomas Bornot et Cyril Montana ont déjà pris part à un premier événement en 2020, « Ici c’est Lacoste », qu’ils espèrent voir perdurer à l’avenir. Cette réappropriation culturelle par le public est l’occasion de rappeler la richesse patrimoniale du village : les surréalistes, l’héritage de Sade, etc.

Mélanie DOMERGUE

Infos :

Site internet : https://www.cyrilcontregoliath.com/

Pour découvrir l’événement culturel « Ici, c’est Lacoste » : https://icicestlacoste.fr/