By Laura Samori
Anachronismes et rencontres fortuites : quand les tableaux de maître prennent vie !
C’est la vraisemblance. Bien longtemps que les « regardeurs » des musées sont devenus des sujets pour les photographes. Michel Gantner surpasse le genre : il compose avec le vivant et le non-vivant, sans acteur, sans costume mais avec la patience du peintre. Les êtres entrent sur un arrière-plan ancestral et célèbre, choisi au préalable par l’artiste. Les silhouettes mouvantes deviennent part entière des œuvres, comme si elles habitaient le décor autant que les personnages peints
Correspondance des couleurs et des formes : tout repose sur la recherche esthétique, la manière dont les matières, les coiffures et les postures des vivants partagent des similarités avec les éléments des chefs d’œuvres muséaux. C’est une question d’écho, que se font les époques, une façon de présenter un temps qui n’est peut-être pas si différent.
Cadrages serrés, les limites du tableau sont celles de l’image, l’approche de l’artiste se veut immersive. Les Hommes évoluent naturellement dans ces arrière-plans hors du temps et apportent par leurs vêtements, leurs gestuelles, une dose de contemporanéité qui déroute.
Que de symboliques ! Michel Gantner est avant tout un observateur, il combine savamment les imaginaires : par un simple tissu, chargé pourtant d’histoires millénaires, il fait se rencontrer presque physiquement Occident et Orient, comme un pied de nez aux supposées différences.
On confond les époques, on s’y reprend à deux fois pour savoir de qui est l’œuvre et qui s’y glisse après coup. Rubens, Gentileschi, Philippe de Champaigne, Les Frères Le Nain,
Nicolas Poussin, Paul Véronèse sont auteurs de chefs d’œuvre célèbres : productions majeures de l’histoire de l’art social et politique. Aujourd’hui elles sont le point de départ des compositions de l’artiste et se trouvent sur un pied d’égalité avec les figures vivantes, l’importance équivaut entre culture et nature. Savant mélange d’époques.
Illusion ? Hazard ? C’est que l’artiste passe des heures à visiter les plus grands musées du monde à la recherche de scènes qui étonnent, par les correspondances de ses compositions éphémères. Il fixe ses rencontres fortuites et les rend presque vraisemblables, avec le savoir-faire de l’illusionniste.
Michel Gantner, un rapport avec le cinéma ? Ses photographies sont des rencontres brutales : sortes de collisions qui confrontent la technologie et sa capacité de mise en abîme, par écrans interposés, avec la peinture ancienne, fragile et figée. Il y a un aspect théâtral exacerbé, tant de mouvements, de tension parfois et de concentration souvent : certaines compositions nous immergent dans un peplum, d’autres dans une scène de genre, une danse.
Passionnante est l’observation des mimes : les hommes s’amusent à reprendre les poses des sujets des tableaux, sans savoir qu’ils sont pris en photo. Ils créent alors des redondances visuelles, des correspondances qui deviennent véritablement crédibles. Le format joue aussi dans cette sensation cinématographique : presque panoramiques, les images nous laissent la place de nous promener en leur sein, profitant de l’action en cours.
Recyclage, reviviscence ? Combien d’entre nous pensent que ces peintures, saluées de longue date, n’ont de rapport avec notre génération que par ce qu’elles nous disent de notre histoire ? Voilà qu’elle
s prennent un autre sens. Elles deviennent des espaces que l’homme contemporain investit, dans lequel il s’émeut et respire. Tout à coup, ces tableaux de maître nous semblent accessibles et amicaux, ils nous accueillent et l’on participe. Les regards entre les vivants et les non-vivants se croisent, on pourrait croire que ramenés à la vie, les personnages peints regardent les « regardeurs ». Et puis on s’y perd tant les protagonistes semblent entrer en conversation. On se surprend à rêver de ce que pourraient être leurs échanges. De quoi pourrait bien parler ce cercle d’amis du XVIIIème siècle et ces hommes modernes ?
Ambivalence pourtant. La limite de l’osmose possible entre les œuvres et les hommes s’arrête lorsque ses derniers prennent en photo. Les écrans de smartphones créent et soulignent l’anachronisme. Ils matérialisent aussi une distance entre le spectateur et les toiles, ils rendent visible cette distance en termes de temps, de technologie, de préoccupation et de concentration. Ils semblent briser le partage muet à travers les regards et de gestes. Derrière leur écran, les spectateurs ne sont plus part de la conversation. Pourtant certaines mises en abîme ingénieuses, comme La Mort de Sardanapale (Delacroix) ou La Liberté Guidant le Peuple (Delacroix), renforcent le caractère célébrissime et historique et accentuent l’attrait des chefs d’œuvre.
Alchimies poétiques et stimulations de l’imaginaire. Le père de Michel Gantner, Bernard, était peintre. Cela explique en partie l’attrait de l’artiste pour ces tableaux aux tailles importantes qui deviennent les lieux de scènes presque surréalistes, si l’on veut bien se prêter à rêver un peu. Dans cette affaire de chapeaux (Louis et Mathieu Le Nain, La Tabagie), la dame en rouge au chapeau blanc est installée autour de cette table masculine, où étoffes et chromies se font vivement écho.
Les photographies de Michel Gantner sont de véritables tableaux dans lesquels on s’occupe d’un rien. Les jeux de regards stimulent l’imagination et nous engagent dans des situations cocasses, surprenantes ou simplement esthétiques.
C’est un des propres de l’artiste que de présenter son monde sous un jour nouveau, selon un point de vue amusé, amusant ou novateur. Michel Gantner attend les moments propices, ceux qui créent la poésie naturellement, seulement par la nature même de l’homme : regarder, s’émouvoir, se passionner et être autant le producteur que le sujet d’une imagerie qui grandit de jour en jour. Il allie passé et présent d’un seul tenant.
Copyright Laura Samori & FEAT-Y
Site de l’artiste :
Isabelle
25 avril 2020 10 h 10 min
quelle belle idée !!! c’est surprenant et poétique .