Dans un paysage médiatique qui fait dans une certaine frénésie, tenter une information plus posée est fort audacieux. C’est ce qui anime Jeanne Baron, fondatrice de 39.9°, l’actu brûlante, disponible sur le web, où la journaliste interviewe différentes personnalités ayant des points de vue contradictoires sur une thématique d’actualité. Elle explique dans un entretien fleuve auprès de Feat-Y qu’il s’agit d’un engagement plein et entier dans cette pastille d’information sur le web, avec le risque d’exposition à des menaces mais avant tout l’envie de « donner la parole à un maximum de gens ». Interview.

Feat-Y : Pour quelle(s) raison(s) avez-vous fondé 39.9°, l’actu brûlante ?

Jeanne Baron: Je trouvais qu’il manquait aux chaines d’information en continu un point de vue neutre. On n’avait pas souvent les réponses aux questions qu’on se posait. Le premier confinement est arrivé, le 17 mars. J’ai continué à travailler mes émissions, depuis chez moi, puisqu’il y avait des émissions en digital, pour BFM. Je travaillais à distance. je me posais de plus en plus de questions. Je commence à faire des lives avec des médecins, sur mon Instagram. Ces lives sont très suivis. Les médecins acceptent de parler, etc. On avait une espèce de pastille d’information. Je me suis dit : « Ça marche pas mal. Ce serait bien de monter un média ». J’avais envie de monter un média, que je voulais appeler « Sans langue de bois ». C’était l’idée originale. Et puis, de « Sans langue de bois » est arrivé 39.9 et c’est comme ça que l’émission a vu le jour. Ça a pris du temps car j’ avais des envies particulières et singulières, sur lesquelles je bossais depuis quelques années.

Feat-Y : Est-ce une manière de marquer une rupture avec une presse « mainstream » qui semble ne pas être en phase avec la réalité du terrain, quelque part ?

J.B : Je ne dirais pas que c’est une rupture ! Je ne pense pas qu’il faille avoir une vision manichéenne de l’information, des news et de la vie en général. Ce n’est pas tout blanc ou tout noir ! C’est plutôt une espèce de complémentarité. Je pense que quand on ne se retrouve pas forcément sur certains points, on peut se retrouver sur d’autres points, dans les informations qu’on peut voir, qu’on peut entendre. En revanche, en ce qui concerne la singularité, cela vient, déjà, du fait que je suis une femme. En tant que telle, j’ai a des points de vue différents. Il y a de l’affect, des sensibilités différentes, le fait d’être maman aussi. On ne se pose pas forcément les mêmes questions que tout le monde. En tant qu’homme, vous posez des questions particulières, en fonction de ce que vous êtes, de votre état, de votre génération. Nous sommes d’une autre génération. Je ne le vois pas comme une rupture, mais comme une complémentarité. Je ne crois pas que les informations sont opposées. Elles sont complémentaires. Et c’est important pour moi, plus que de l’info en continu, où on donne la parole à quelqu’un durant trois minutes, de pouvoir s’attarder sur quelqu’un plus de 10 minutes, pour aller au bout d’un point de vue.

Je ne donne jamais mon point de vue. Et c’est, peut-être, ce qui va différencier 39,9 ° des chaînes de grande écoute. On a parfois l’impression qu’un journaliste prend parti, est plus ou moins incisif avec des invités, en fonction peut-être de ses idéologies, de son parti pris. Avec mon équipe, on se refuse de faire ça. On aura les mêmes questions face à nos intervenants. On rebondira de la même façon. Et on se fera l’avocat du diable de la même façon. Peu importe ce que l’on pense parce qu’en réalité, on se fiche littéralement de ce qu’on pense, en tant qu’individu, en tant que citoyen, au sens étymologique du terme. En aucun cas, on veut montrer notre point de vue. On doit donner la parole au plus grand nombre ! C’est risqué car on a des personnes qui ont plus ou moins des étiquettes, même si je déteste en mettre. Mais l’opinion publique est telle qu’aujourd’hui, on a rapidement des étiquettes. On peut se faire traiter de complotiste ou de pro-macroniste. C’est très compliqué pour nous aussi, cette situation. Mais on l’assume et on s’en fiche parce qu’au bout du compte, nous sommes contents de l’information qu’on va livrer.

Feat-Y : La dernière vidéo de 39.9°, l’actu brûlante, à savoir une interview du Dr Louis Fouché à propos du Coronavirus, a été notoirement vue sur les réseaux sociaux, mais vous a également valu des menaces (mort, viol). Comment gérez-vous ce genre de situation ?

J.B : C’est une excellente question. Je ne crois pas qu’une personne soit normalement constituée pour gérer ce genre de situation extrême. C’est la preuve flagrante du mal-être dans la population française. Il s’explique facilement. On est dans une situation de crise. À la fin du premier confinement, les gens étaient extrêmement troublés, choqués. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer. Peut-être que la problématique vient du fait qu’on a entendu tout et n’importe quoi, à la fois de nos dirigeants et de médecins sur les plateaux de télévision. On ne peut pas dire un jour « le masque ne sert à rien » et le lendemain, rendre le masque obligatoire. C’est très compliqué pour les gens. Je crois que quand on fait des interviews avec des gens ayant des points de vue différents, les gens ne le supportent pas. On est dans une situation touchy en ce moment. Mais on peut comprendre cela. Nous-mêmes, on se pose des questions tous les jours sur notre avenir. J’ajouterais que c’est très facile de le faire, parce qu’on est des femmes et qu’ils le savent. On l’a fait en toute transparence. On se montre à l’image. Je suis la représentante notre média aujourd’hui. Et on se permet, quand on a des femmes en face de soi, d’aller un peu plus loin. Et je trouve cela dommage. Mais ça ne nous empêchera absolument pas de continuer parce qu’on croit fondamentalement qu’il faut éduquer les gens, leur montrer une autre manière de voir les choses, de s’informer. Si on est pour la liberté de prescrire, on est aussi pour la liberté d’expression.

 Feat-Y : Comment définiriez-vous votre éthique du journalisme ?

J.B : La première chose, c’est qu’on n’est pas prêts à Tout. On reçoit plusieurs dizaines de mails par jour, avec des pseudo-scoops, des scandales, des révélations. Cela ne nous intéresse pas. On n’est pas dans un journalisme outrancier, putassier. On est dans un journalisme éducationnel, citoyen. On voudrait donner la parole à un maximum de gens. On aimerait que les gens qui nous regardent puissent participer à des conférences de rédaction, pour avancer ensemble, pour répondre aux problématiques sociétales qu’ils se posent. Je pense qu’on fait cela avec une éthique irréprochable. C’est peut-être ce qui causera notre perte, mais on s’en fiche, parce qu’on peut se regarder dans une glace. On a à cœur de respecter notre métier, de respecter les gens qui vont nous faire confiance, qui vont nous accorder des interviews, car c’est tellement facile de duper les gens, de leur faire dire des choses. Les gens ont besoin d’être entendus. D’ailleurs, on a sciemment laissé les commentaires sur les vidéos Youtube. Il y a des commentaires qui nous défoncent, mais ce n’est pas grave. C’est leur avis, on accepte cela aussi. Les commentaires qu’on a dû modérer sont ceux proférant des menaces de viol, de meurtre et des appels au crime, notamment pour nos dirigeants. Et ça, jamais, ô grand jamais, on ne le cautionnera. Par contre, on peut entendre un esprit critique qui va nous expliquer pourquoi il n’a pas aimé notre vidéo, avec grand plaisir.

Feat-Y : Quel est votre regard sur l’évolution du journalisme, en France comme ailleurs, début 2021, par rapport à vos débuts dans le métier ?

J.B : Je ne suis pas sûre qu’il y ait une évolution flagrante. Je pense que ce serait mal placé de devoir donner des leçons aux autres. Il y a une évolution certaine avec les réseaux sociaux, permettant à plus de gens de s’exprimer. Mais le fait qu’on s’exprime plus est-il une bonne chose ? On peut se poser la question. Je crois que, fondamentalement, on manque peut-être, et je m’inclus dedans, d’une éducation un peu plus généraliste, pour pouvoir traiter certains sujets. Peut-être qu’on n’a pas le temps, aujourd’hui, d’aller au bout des informations, au bout des recherches, au bout des idées. Et c’est, peut-être, le problème. Notre société va vite et on n’a pas de formats de télévision qui permet aux gens de s’exprimer sur une durée un peu importante. Je trouve aussi dommage qu’on voit toujours les mêmes personnes aux mêmes endroits, à la même heure. Mais pour parler du journalisme, en tant que tel, je ne suis pas sûre qu’il y ait beaucoup d’évolution dans la façon de traiter l’information. Elle n’est pas plus vulgarisée, mais elle est plus tape-à-l’œil. On va à la pêche au scoop, à la pêche au scandale. C’est peut-être dommage.

Feat-Y : Avec les récents dispositifs législatifs, comme la proposition de loi sécurité globale par exemple, peut-on penser qu’il y a un verrouillage progressif de la liberté de la presse en France ?

J.B : C’est une question hyper-orientée, si je puis me permettre (Rires). Honnêtement, c’est une grande question mais la vraie question à se poser est : « Est-ce que ça date de la loi sécurité globale ? ». Ce sera ma réponse. Est-ce qu’on a attendu la loi sécurité globale pour verrouiller, ou non, l’information ? Posez-vous la question.

Feat-Y : Quelles pistes seraient bonnes à suivre pour permettre à des médias indépendants de pérenniser leur existence, selon vous ?

J.B : On ne sait pas. Nous nous sommes lancées sur un coup de tête, une envie, une passion. On a tout laissé de côté pour le faire. On s’auto-finance. On n’a fait aucune levée de fonds. On n’a aucun producteur derrière nous. Il n’y a aucun diffuseur derrière nous. On est en toute autonomie et en toute liberté. Mais cela a un prix. C’est qu’on perd de l’argent. On n’en gagne pas, aujourd’hui. Je ne suis pas sûre qu’on soit les mieux placées pour expliquer comment pérenniser un média indépendant. Je propose qu’on se donne rendez-vous dans un an, qu’on fasse le bilan, et qu’on en parle, si on est encore là, pour voir si ça a marché et si on a réussi à se pérenniser.

Mais j’ajouterai que cette aventure 39.9° nous a prouvé que la solidarité, l’entraide, marchent. On a des copains cadreurs, des copains monteurs, des copains de prod, qui sont venus nous donner des petits coups de main sur certains épisodes de l’émission et que c’est peut-être une piste à suivre pour le futur. La solidarité, l’entraide, manquent parfois dans ce métier et ensemble, on est plus fort.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin