Par Florence-Laetitia
Valencia, en fin de matinée.
La lumière ardente dévoile la beauté des façades ocres et embrase les pavés usés par les siècles. Babacar avance tranquillement, saluant au passage commerçants, voisins, amis croisés par hasard. Chaque poignée de main, chaque sourire témoigne de la place qu’il occupe dans le quartier. Sa silhouette attire l’œil, mais pas seulement pour son allure : il dégage cette intensité calme qu’ont les gens qui savent où ils vont. Arrivé au café, il me précède, commande deux cafés, un pour lui, un pour moi, avec une attention simple mais rare. Puis il s’installe et, avant même que je pose la première question, me confie : «J’ai grandi entre deux cultures, l’européenne et l’africaine. MOOVA, c’est en prendre le meilleur et les faire danser ensemble. »
De cette double identité, il a fait la signature de MOOVA, un espace nocturne où musique, art, mode et éthique s’unissent en un univers symbiotique.
MOOVA, un moyen d’expression aux visages multiples
MOOVA est né dans les coulisses de la nuit valencienne, là où Babacar a passé des années à organiser des événements, à observer les foules, à comprendre ce qui fait qu’une soirée est plus qu’une distraction. Mais ici, pas question de reproduire un modèle. Pas question de ces fêtes où l’on se noie dans des excès éthyliques ou l’oubli. Ici, une philosophie implicite sous-tend les fondements de l’esprit MOOVA, avec La musique comme grammaire, la mode comme vocabulaire, et l’éthique comme ponctuation. Les cultures s’entrelacent sans friction : noir, arabe, asiatique, queer, espagnol ou étranger de passage. Et, tous parlent la même langue, celle du respect.
« Les jeunes passent leur temps à se parler à travers un écran. MOOVA est une réponse à cela : un espace pour se voir réellement. »

Baba, entre devoir de transmission et le style comme manifeste
Chez Babacar, le vêtement n’est pas une parure anodine. C’est un manifeste silencieux. Aujourd’hui, il peut porter une chemise et un pantalon signés d’un créateur afrodescendant trop peu cité dans les pages de mode, demain des vêtements d’amis designers. Vintage, marques de proximité ou invisibilisées, il rend ostensible nombre de talents émergents. Il dit se méfier du culte des marques : « Savoir s’habiller, ce n’est pas dépenser. C’est savoir raconter qui on est. »
Ses tatouages, dont un Black Lives Matter, et ses tresses, inspirées d’anciens codes d’esclaves africains servant autrefois de cartes secrètes, racontent un héritage précieux. Une transmission qui, pour lui, ne doit jamais se perdre. « C’est un langage que seuls certains comprennent, mais qui dit tout. » Et, cet héritage et ce besoin de transmettre lui viennent de son père. En provenance du Sénégal, son père a eu un véritable coup de cœur pour L’Espagne lors du mondial 1982, il a, alors, travaillé sans relâche dans des foires, enchaîné les boulots pénibles, afin de pouvoir s’établir à Valencia et offrir à ses enfants ce qu’il estimait de plus précieux : l’éducation, les valeurs, la dignité. Babacar parle de lui avec un mélange de respect et de tendresse :
« Mon père m’a toujours dit : ne fais pas les choses seulement pour toi. Fais-les pour ceux qui viendront après. »
Cette leçon l’accompagne dans tout ce qu’il entreprend. MOOVA n’est pas pensé pour engranger des bénéfices rapides, mais pour durer, pour servir de modèle à d’autres. L’argent n’est pas le moteur, mais la résultante d’un projet sincère.
Un engagement social qui dépasse la fête
L’implication de Babacar et MOOVA dépasse largement le cadre de la nuit. Il collabore avec la mairie de Valence pour des événements comme la Journée internationale des droits des femmes, soutient des ONG telles que Sonríe por África, et encourage les artistes émergents. Il ne s’agit ici pas uniquement de créer un espace sûr, mais un espace fertile, où les rencontres peuvent se transformer en projets, où les idées circulent aussi librement que la musique. Car pour Babacar, la vie est un art. Et sa plus grande invention, dit-il, est la mort. Non par goût du morbide, mais parce que « savoir que tu vas mourir te donne envie de profiter de chaque jour. Si tu penses avoir tout le temps du monde, tu ne vivras jamais pleinement. » Dans ses soirées, il veut offrir cette intensité-là. Les gens arrivent, dansent, parlent, rient, et repartent avec le même visage qu’à l’entrée, mais plus léger, plus souriant. La nuit leur a donné un répit, une respiration, un moment où le monde semblait tenir debout.
Babacar observe l’Espagne et y voit un pays encore en chemin vers la reconnaissance des cultures afrodescendantes. Il cite la France comme pionnière, dû à son histoire coloniale et à l’apport des deuxième et troisième générations. Mais il croit qu’une mutation s’opère également ici. Et avec MOOVA, cette idée devient tangible : le public est une mosaïque vivante où chacun existe pour ce qu’il est, pas pour ce que son apparence laisse supposer.
Et c’est au première lueur du matin que les différences sont notables avec d’autres endroits plus traditionnels. La musique baisse. A la place de visages éteints ou de regards fuyants, Chez MOOVA, les gens se sourient encore, se donnent rendez-vous, échangent des numéros. Babacar les regarde partir avec la satisfaction discrète d’un hôte qui sait que ses invités se sont sentis chez eux. « Ce que je veux, c’est que quand les gens sortent d’ici, ils se sentent mieux qu’en entrant. »
MOOVA n’est pas une mode passagère.
MOOVA est un mode de vie, un manifeste nocturne.
Et Babacar, son créateur, en est à la fois l’architecte et le gardien.
Plus d’infos ici: https://www.instagram.com/moovaclub/