Par Florence-Laetitia

« On ne tombe pas amoureux, on le devient. »

Cette phrase me hante. Elle dit tout. L’amour n’est pas un accident, c’est un état. Un glissement progressif vers autre chose. Il ne s’impose pas : il s’infuse. Comme l’air que l’on respire, il devient matière, souffle, terrain. On n’aime pas seulement : on devient amour. Ce n’est pas une émotion, c’est une forme d’être.

Dans la tradition soufie, l’amour se traverse en sept étapes : attraction, ivresse, abandon, adoration, dévotion, obsession, puis dissolution du soi, une mort douce, intérieure, une disparition dans l’autre. Ce parcours m’évoque aussi le processus de création, ce moment où l’artiste s’efface dans son œuvre. Et c’est exactement ce que je ressens en découvrant la nouvelle collection de Rahul Mishra. Chaque silhouette, chaque surface brodée semble raconter ce chemin. Ce glissement vers l’absolu. Ce devenir.

L’amour vu par Klimt comme inspiration

Le souffle de Gustav Klimt traverse la collection comme un courant d’or. Les robes s’embrasent de spirales, de textures, de halos. On y retrouve ses muses dorées, ses femmes-or, ses formes enchevêtrées, entre sensualité et mysticisme. Mais ici, le langage pictural devient textile. Les broderies, aari, zardozi, naqshi, dabka, prennent vie entre les mains d’artisans indiens. Les sequins, perles, pierres kundan scintillent sur de l’organza, du tulle, du velours ou du satin comme des fragments de lumière.

Chaque pièce est un tableau mouvant. Le vêtement n’est plus une simple seconde peau. Il devient surface d’expression. Il respire, raconte, incarne.

Des réminiscences de Paul Poiret

Dans cette collection, j’y vois la réminiscence de Paul Poiret. Il a marqué son temps en repoussant les limites du vêtement, en libérant le corps féminin, en transformant la couture en art. Poiret puisait dans les arts décoratifs, dans l’Orient, dans le théâtre, pour donner à la mode une forme nouvelle, affranchie, spectaculaire. Il ne s’agissait plus de s’habiller, mais de se révéler.

Cette même ambition vibre ici. Les silhouettes sont fluides, sculpturales, habitées. Les broderies sont des manifestes silencieux. Comme chez Poiret, la mode devient un terrain d’avant-garde. Une scène où le vêtement est à la fois œuvre d’art, manifeste esthétique, et espace d’émancipation.

Ce parallèle n’a rien de nostalgique : il est vivant. C’est le même désir de réinscrire la mode dans la sphère de l’art. De rappeler qu’elle peut, qu’elle doit être un geste fort, une expérience sensorielle, intellectuelle, spirituelle. Un langage à part entière.

La couture comme acte d’amour, L’artisanat comme acte de foi

Ce qui rend cette collection encore plus précieuse, c’est ce qu’elle incarne dans sa fabrication : le temps long, le geste juste, le lien humain. Plus de 2 000 artisans participent à l’élaboration de ces pièces. Chaque point de broderie, chaque structure métallique, chaque étoffe raconte le savoir d’une main, la mémoire d’un lieu. C’est une mode lente, enracinée, responsable.

Dans un monde saturé d’images et d’objets, cette démarche me touche profondément. Elle redonne au luxe son sens originel : celui de l’attention, du soin, de la profondeur. Elle transforme la création en acte d’amour. Elle fait de chaque vêtement une offrande. Une preuve silencieuse que la beauté peut naître du collectif, de la transmission, de la patience.

Devenir amour

Finalement, c’est peut-être cela que cette collection nous dit. Aimer, créer, s’habiller : ce sont des gestes liés. Tous relèvent d’un même élan,  celui de se fondre dans quelque chose de plus vaste que soi. De perdre un peu de son ego pour toucher l’essentiel. De devenir, peu à peu, amour.

Et si la mode pouvait redevenir cela ? Non pas un produit, mais une présence. Non pas un miroir, mais une transmission.