Mylène Rosnel : « Je vois Antagony comme si c’était mon dressing et que je le fais vivre au fur et à mesure des saisons »

Mixer des vêtements masculins et féminins pour former un code vestimentaire unisexe n’est pas courant dans la mode et Mylène Rosnel, fondatrice d’Antagony, marque existante depuis 2016, tient à « brouiller les codes », en suivant une trajectoire basée sur la simplicité, l’éco-responsabilité et le made in France, à travers des influences notamment japonaises et scandinaves. Dans l’entretien qu’elle a accordé à Feat-Y, la fondatrice de la marque a tenu à défendre sa stratégie commerciale, refusant de pratiquer des soldes, la volonté de concevoir des vêtements qui s’inscrivent dans la durée, mais aussi combien le Coronavirus l’a poussée à diversifier son travail avec de la production de masques en tissu. Interview.

Feat-Y : D’où vous est venue l’idée de fonder Antagony ?

Mylène Rosnel : À l’origine, je trouvais que les finitions des vestes et des chemises étaient toujours plus soignées dans le prêt-à-porter homme, que dans le prêt-à-porter femme. Ça m’arrivait souvent de créer mon propre style en piochant à droite-à gauche, dans le vestiaire masculin, et en mixant avec des pièces féminines. Et je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à le faire. Beaucoup de femmes le faisaient aussi. À l’inverse, il y avait des hommes qui allaient chercher dans les rayons femmes des chemises un peu plus cintrées. Finalement, un vêtement, qu’il soit pour l’homme ou pour la femme, c’est la manière dont on va le porter qui va faire que ce sera plutôt féminin ou plutôt masculin. L’idée est partie de là, en se disant : « Je vais créer un vestiaire qui soit vraiment mixte, unisexe, qui va convenir aussi bien à l’homme qu’à la femme et je vais jouer sur cette idée d’entre-deux ». Brouiller les codes entre le prêt-à-porter homme et le prêt-à-porter femme. Jouer sur des détails, jouer sur le sens de fermeture des vestes et des chemises.

Feat-Y : Quelles sont vos sources d’inspiration pour vos collections ? Y a-t-il une influence du Japon, notamment des créateurs type Comme des Garçons ou Yoji Yamamoto dans vos collections ?

M.R : Exactement. Il y a deux grands créateurs qui m’inspirent beaucoup. Rei Kawakubo en premier. Peut-être du fait qu’elle ait aussi créé sa marque, qui s’appelle Comme des Garçons. Le côté japonais, c’est ce qui m’inspire beaucoup ; aussi bien dans les coupes des vêtements, la philosophie de vie, l’art et le côté zen. Antagony, c’est une autre manière de penser la mode, de voir les choses, d’embrasser une philosophie de vie, un lifestyle. C’est se dire qu’on regarde les choses différemment, sous un autre angle, prendre le temps des choses. Dans cette philosophie japonaise, je me reconnais beaucoup. Et puis il y a Martin Mangiela, un des créateurs que j’aime beaucoup, pour sa créativité et sa discrétion. Il a insufflé une mode très visionnaire, très poussée, avec l’idée qu’il n’y a pas que le vêtement, mais aussi tout le concept autour, du packaging à la scénographie. J’aime l’esprit minimaliste des choses. Aller à l’essentiel, des choses simples, efficaces et percutantes.

Feat-Y : Pourquoi avez-vous adopté une stratégie éco-responsable et unisexe pour Antagony ?

M.R : Ce sont deux valeurs qui me tiennent fort à cœur. Le côté unisexe, c’est pour l’égalité entre l’homme et la femme. Pour le moment, je crée la marque ; mais je n’ai pas encore une portée sociale ou engagée. C’est une valeur qui m’interpelle beaucoup et j’aimerais œuvrer pour cette cause. De l’autre côté, je me suis toujours dit : « si je crée une marque, ce n’est pas que pour créer une marque ». Je veux qu’il y ait du sens. Il faut qu’il y ait des valeurs. D’où la dimension éco-responsable. C’est de dire : « On fait des vêtements. On les fait en petite série. On les fait avec des artisans, des professionnels qui sont proches ». J’ai choisi de faire tout en France. Ça me rend plus proche des ateliers. Je trouve des solutions avec eux. J’apprends à leurs côtés. Je voulais montrer que finalement, dans la mode éco-responsable, on peut faire quelque chose de stylistique. Jusqu’à présent, on trouve beaucoup de basiques. Des t-shirts, des jeans, des gilets, des robes. Mais il n’y avait pas cette dimension vraiment stylistique, avec un design, quelque chose qui interpelle. Selon moi, l’éco-responsabilité et le style ne sont pas antagonistes. Du coup, ça prend vraiment toute son ampleur.

Feat-Y : Pour quelle(s) raison(s) vous ne proposez pas de soldes auprès de votre clientèle ?

M.R : Justement, je voulais informer, pas dans le sens d’une donneuse de leçons, pour expliquer l’envers du décor. Expliquer « Pourquoi les soldes existent ? » Pour qu’il y ait des soldes, cela veut dire que la plupart des marques ont créé une collection, des quantités. Elles ont un stock où tout n’a pas été vendu et la plupart du temps, ce ne sont pas des stocks qui sont de la collection actuelle, mais ce sont des stocks de collections précédentes qu’il faut écouler, parce que stocker coûte cher. Avec Antagony, je suis a contrario de ce mouvement-là puisque je crée en série limitée. Je n’ai pas de grands stocks. Je ne peux pas me permettre de brader une collection où des prix ont été calculés du fait que chaque partie prenante soit payée correctement. En plus avec le Covid-19 les gens ont pris le temps de comprendre le coût et le temps de fabrication d’un vêtement, d’une collection, peut-être grâce à la fabrication de masques en tissu. Voilà pourquoi je ne propose pas de soldes mais j’explique avec bienveillance, je l’espère.

Feat-Y : À quel rythme se lancent les nouvelles collections ?

M.R : Antagony ne fonctionne pas vraiment comme des collections. Ce que j’appelle collections, c’est un dressing évolutif. On va prendre un exemple. Nous avons tous une armoire chez soi. Et quand on passe de l’été à l’automne, on n’enlève pas tous les vêtements de notre armoire, de notre commode, de notre dressing. Il y a des pièces qu’on va garder, qu’on va marier avec d’autres pièces, pour pouvoir créer un fil conducteur. Antagony fonctionne de la même manière. Il y a des pièces qui vont rester comme des intemporels de la marque et qui vont être déclinées avec d’autres matières. Par exemple, je sais qu’en printemps-été, je vais proposer plus de chemises et de t-shirts. Arrivé à l’automne, je vais commencer à agrémenter des vestes, des blousons, des teddys, des manteaux, pour que chaque vêtement soit lié l’un à l’autre. Et l’histoire d’Antagony se crée comme ça, au fur et à mesure des années.

Feat-Y : Quelque part, vous répondez à la question que je voulais vous poser au sujet du « dressing évolutif ». Pourriez-vous définir ce concept et son implication pratique ?

M.R : On me demande souvent comment je crée mes collections. Je parle tout de suite du dressing évolutif parce que c’est très parlant. C’est différent d’une collection capsule. Je vois Antagony comme si c’était mon dressing et que je le fais vivre au fur et à mesure des saisons, pour que les vêtements durent dans le temps.

Feat-Y : Vous avez indiqué, tout à l’heure, que votre production est essentiellement en France. Pourquoi ce choix du made in France ?

M.R : Créer une marque qui serait produite dans un autre pays où je serais obligée de fonctionner par téléphone ou par mail, me déplacer une à deux fois par an, c’est quelque chose qui ne me ressemble pas. Produire en France est un coût certain. Je n’ai même pas pensé au côté marketing parce qu’à l’époque, le made in France n’était pas aussi médiatisé que maintenant. Mais j’avais vraiment vu, en tout cas j’espère qu’on me croira, cette dimension humaine. Du fait que j’habite en région parisienne, je sais qu’il y a des personnes qui sont capables de très bien monter des vêtements, qui ont un savoir-faire, une pédagogie aussi. J’insiste beaucoup là-dessus. Quand on crée une marque, il faut savoir s’entourer. Ça m’a pris du temps de trouver des personnes de confiance, qui croyaient en mon projet, qui ont vu le potentiel et qui se sont dit : « J’y crois. J’aime beaucoup ce que tu fais. On travaille ensemble ». Pour moi, ça n’a pas de prix.

Feat-Y : Avec le contexte lié au Coronavirus, avez-vous diversifié votre activité, à travers notamment la production de masques ? Si oui, quelle(s) matière(s) utilisez-vous pour vos masques ?

M.R : J’ai pris un certain temps pour me décider à produire des masques ou pas. Je ne voulais pas vendre des masques et faire de l’argent « grâce » à une crise sanitaire. J’en ai parlé à mon entourage, à des amis, pour savoir leur point de vue. Ce qui me dérangeait également, c’est que je pouvais faire des masques mais je ne faisais rien. Pourquoi ? Et là m’est venue l’idée d’être transparente là-dessus. Expliquer clairement le temps de production d’un masque, ça coûte tant, les fournitures coûtent tant, et que je vends à prix coûtant. Au moins, c’est une manière de montrer la valeur du temps derrière cette production de masques, qui a été médiatisée. Les matières que j’utilise sont des fins de rouleaux de la collection ou des tissus non-utilisés. J’ai choisi des matières naturelles : coton, lin ou laine. Seule exception, la viscose. Et pour les élastiques, j’utilise une matière en nylon similaire aux collants. C’est plus agréable que les élastiques conventionnels.

Feat-Y : Si vous étiez une période historique, laquelle seriez-vous ?

M.R : Je pense que j’aimerais être le mouvement pour les droits civiques des noirs aux États-Unis, dans les années 60.

Feat-Y : Si vous étiez une matière que vous utilisez pour vos vêtements, ce serait laquelle ?

M.R : Très bonne question ! Je n’y ai jamais pensé et pourtant je suis dans la mode (rires). Je pense que je serais de la laine parce que c’est quelque chose de doux, d’agréable, de naturel. Et en même temps, on peut avoir plusieurs formes. Une étamine de laine très fine pour des costumes, comme un gilet en maille, en laine, très confortable.

Feat-Y : Si vous étiez un animal, ce serait lequel ?

M.R : J’aimerais être un oiseau. Un aigle.

Feat-Y : Si vous étiez un film, lequel seriez-vous ?

M.R : Un film ? C’est trop dur. J’aime beaucoup les films. Je ne l’ai pas dit mais j’aime beaucoup les musiques de film. Un film en particulier… j’essaie. Je me lance. (Elle réfléchit) Il y en a un qui m’a pas mal touché, qui est drôle, Ce que veulent les hommes. C’est un film où il y a une femme qui entend toutes les pensées des hommes. J’ai trouvé le scénario très drôle et pas du tout gnangnan, pas du tout téléphoné. Il m’a fait vraiment rire aux éclats.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

M.R : Oui. On aimerait tellement savoir ce qu’il y a dans la tête des autres !

Plus d’infos:

antagony-paris.com