Depuis mars 2020 Santé France a lancé  l’enquête Coviprev afin de permettre un suivi des comportements de la population française face à La covid. L’enquête révèle en mars 2021 des chiffres alarmants concernant le bien être psychologique des français. 20 % des français souffrent d’un état dépressif, ce qui représente 10 % de plus que le niveau habituel, qui demeure constant depuis des années. 

 A l’instar du japon, qui a nommé Le 12 février, Tetsushi Sakamoto, comme “ministre en charge de la politique de lutte contre la solitude et l’isolement”, suite à une recrudescence dramatique du nombre de suicide, quelles solutions la France doit elle apporter  à une population confrontée à une situation nouvelle et anxiogéne?   

Afin d’avoir un point de vue pragmatique sur la situation, Feat-y est allé à la rencontre de Lise lenain du cabinet pamplemousse , psychologue du travail. Interview

Feat-y: Vous êtes psychologue du travail et des organisations. Pourriez vous nous éclairer sur votre activité? 

Lise Lenain: Mon métier consiste à intervenir aussi bien au niveau individuel dans le cadre de problématiques liées à la souffrance au travail, de problématiques de reconversion professionnelle, qu’au niveau organisationnel. J’ai un pôle d’intervention en organisation, donc en entreprise dans le domaine aussi bien public que privé ou la j’interviens sur de l’accompagnement au changement, sur la mise en place de cellule d’écoute psychologique. 

Comme par exemple en ce moment, sur la mise en place du télétravail, de la digitalisation des métiers, sur tout ce qui peut être prévention de ce qu’on appelle les risques psycho-sociaux. c’est à dire tout ce qui est en lien avec le stress éprouvé sur le lieu de travail, la violence interne, le harcèlement, management pathogène et tout ce qui va être violence externe ( clients , usagers ). J’ai également un pôle de formation en lien avec toutes ces thématiques, qui sont en lien avec la qualité de vie au travail au sens large du terme  dont la gestion du stress, l’impact de la crise sur le travail et l’articulation des sphères de vie qui peuvent en découler. J’interviens pour tout type d’entreprises, beaucoup pour les collectivités, et le monde associatif. 

Feat-y: D’après une enquête de capital de 2018, 70% des salariés déclarent avoir un travail fatiguant, quelles sont les répercussions sur la santé psychologique ?

La fatigue au travail peut s’exprimer de différentes manières aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychique. Sur le plan psychique cela va se traduire par une plus grande irritabilité, une attention plus déficiente,une appréhension face à de longues périodes de concentration, une efficacité moindre. Dans le monde du travail, on observe une accélération des cycles de changement sans temps d’adaptation et de récupération des nouvelles formes de travail. Il n’y a plus de temps de répit ou on peut mettre en œuvre ce qu’on a déjà expérimenté. La fatigue peut s’exprimer suite à cela. Les conséquences vont être: difficulté d’endormissement, réveils nocturnes. 

C’est une tendance sociétale profonde, amplifiée par la crise sanitaire. Les inégalités ont été creusées et les sociétés se sont reposées sur le management de proximité. 

Feat-y: Voyez vous apparaître de nouveaux symptômes liés à la pandémie

Je ne sais pas si ce sont de nouveaux symptômes, mais je reçois de plus en plus de personnes qui parvenaient à faire bonne figure auparavant. Des personnes qui n’auraient jamais craqué. Avec une majorité d’hommes dont l’âge est compris entre 35 et  45 ans. dans le genre de milieu, ou le stress est perçu comme positif, ou également il est important de montrer sa force mentale. Ce type de profil a l’habitude d’absorber des contraintes mais sans les ressources habituelles telles que la pratique sportive, le fait de pouvoir sortir, l’équilibre n’est plus là. Ce qui en découle ce sont des fractures psychiques sévères, des décompensations du type burn out qui se révèlent du fait de la disparition des ressources habituelles

Feat-y: Aujourd’hui l’étude Coviprev révèle une augmentation significative des troubles psychiques, dommages collatéraux directs liés à la pandémie, ne pensez-vous pas que le problème n’a pas été pris dans sa globalité initialement ? 

En psychologie du travail, on a 3 niveaux de prévention. La prévention primaire consiste à repérer les facteurs de risque avant que cela ne cause des dégâts. Concernant la situation actuelle, on est clairement dans ce qu’on appelle de la prévention tertiaire ou postvention. On est en mode pompier, qui réagit à l’immédiateté. Il y a une 4eme vague dans certaines études du LANCET, qui est une vague psychique. Les 1ères vagues sont dues à la maladie et à la précarité. Ce qui se passe est systémique. Mais en France de façon générale,on a du mal à s’inscrire dans la prévention, qui plus est sur le plan psychologique.  On attend de ne plus pouvoir faire face à la situation au sein du travail. Il y a cette tendance à faire face, à tenir coûte que coûte. En définitive les conséquences face à cette carence au niveau de la prévention sont lourdes par la suite. La santé physique n’est pas prise en compte de la même manière que la santé mentale. Il y a par exemple pour les étudiants une alerte sur leur santé mentale, vu qu’ils sont exclus de tous les espaces collectifs ou ils peuvent  justement avoir cette micro régulation, ces échanges qui permettent de faire face aux contraintes. Les contraintes ne sont pas gênantes du moment qu’il y a des ressources en face, du lien social, du partage émotionnel. Et nous en sommes tous privés en cette période. Il faudrait changer de logique et s’inscrire dans une logique de prévention primaire, c’est-à-dire anticiper. On sait que certains types de population sont plus exposés, donc il serait judicieux de mettre en place des dispositifs pour les prendre en charge de façon précoce. 

Feat-y: Quelles sont à votre avis les solutions à prendre pour contenir la détresse psychologique liée à la situation actuelle? Surtout que des mesures contraires ont été prises 

 Les messages contradictoires ont un impact direct sur la confiance. Les messages contradictoires, l’injonction paradoxale mènent à une incompréhension.  On ne sait plus à quoi se référer. Même entre scientifiques, ils ne sont pas toujours d’accord, combiné à un discours politique ou il y a un manque d’informations. Ce qui se comprend car ils ne savent pas forcément quoi faire, dissimulé par de fausses affirmations servant à camoufler des manquements. Il y a cette part d’incertitude qui doit être acceptée. Et être transparent en disant “ oui on pilote en  fonction des indicateurs que nous avons au jour le jour et nous ne pouvons pas faire mieux. “ À l’échelle de chaque personne , nous avons très peu de maîtrise sur ce qu’il se passe.Nous baignons dans l’incertitude. Et cela peut créer un désengagement si on ajoute trop de règles et que ces dernières ne soient plus respectées.

Feat-y: Le lien social créé au travail a diminué depuis 1 an, vous avez mis en place un dispositif covid, que proposez vous à travers celui-ci ? 

J’ai 2 dispositifs spécifiques mis en place. Un dispositif qui est une cellule d’écoute inversée. En temps normal, dans les cellules d’écoute classique, ce sont les personnes qui souhaitent appeler, qui appellent. Donc en général, ce ne sont pas les personnes au fond du gouffre qui appellent. Il faut des ressources pour pouvoir appeler. En ce qui concerne la cellule d’écoute inversée, je fais un contrat avec  l’organisation qui a identifié qu’il y avait un besoin. Et donc l’organisation a un pack d’appel et j’appelle l’ensemble du personnel.Cela permet de garder un lien, surtout en télétravail, mais un lien différent de celui que peuvent avoir le manager et les collègues. Ce qui permet d’avoir d’un point de vue organisationnelle, d’identifier des points de ressources et des points de faiblesses. Et on s’adresse à l’ensemble du personnel. Pas seulement aux personnes qui expriment un mal être et qui sont donc en capacité de l’exprimer car il y a également ceux qui ne peuvent pas 

Feat-y: Quel est à votre avis l’impact sur le long terme de la pandémie?

La santé psychologique est très fortement impactée par les crises successives.Il y a eu un impact par la crise des gilets jaunes, les fermetures, puis l’impact de la crise sanitaire. Il y a des répercussions sur toutes les strates de la société. Il y a des professions ou la charge de travail a considérablement augmenté et d’autres ou au contraire il y a une disparition totale de l’activité comme par exemple dans l’hôtellerie. Il y a donc des états très dégradés, des idées noires. Beaucoup de personnes fragilisées. Il n’y a pas d’étude complète encore sortie. Mais il serait intéressant d’avoir des chiffres précis. 

Feat-y: Justement, on parle très peu dans les médias de ces impacts à l’heure actuelle, A votre avis pourquoi?   

En fait, c’est un révélateur de fragilité organisationnelle qui existait déjà  avant la crise, du fait de cet empilement des changements successifs, de cette surabondance de l’information qu’il faut traiter. Pour beaucoup d’organisations, le fait d’envoyer un mail équivaut à faire passer une information. Et on a un problème majeur de gestion de la communication au niveau des entreprises. La problématique est que les moments de regroupement ont déjà été limités  avant  le covid. Cela prive d’une ressource essentielle: pouvoir échanger entre collègues  sur ce qu’est le travail bien fait. L’augmentation de la charge de travail , l’accélération font que ces temps existent de moins en moins. On les place sur les temps de pause. Vous rajoutez à cela la crise du covid avec le télétravail et les distanciations sociales, et la il y a une disparition complète de ces échanges. Il faudrait réintroduire ces espaces d’échanges. Pouvoir discuter avec ses collègues sur les problématiques, ne serait ce qu’à la pause café, permet de se détacher du caractère traumatique de la situation. A partir du moment où il y a une privation de ces points collectifs , forcément les pathologies se renforcent. On se retrouve seul face à ses problèmes. 

Feat-y: Vous faites des sessions en vous baladant, c’est assez surprenant et novateur, non?

C’est un psychologue New yorkais, Clay Cockrell, qui faisait cela dans Central Park, pour ses clients très pressés. je pense qu’on a besoin de mouvement, besoin de créer un déséquilibre positif pour avancer dans sa réflexion. L’entretien en marchant favorise cela. Cela permet de ne pas s’enfermer sur des logiques habituelles. En marchant, on a des associations d’idées qui ne nous viennent pas forcément en restant statique. La marche permet de remonter son réservoir d’énergie et sa capacité en rentrant en contact avec l’autre. C’est une façon d’envisager le problème sous un angle différent. Et je dois dire que cela marche très bien comme concept. 

Feat-y: Une musique à recommander pour se détendre ? 

Wonderful word par Louis Armstrong , Perfect Day par Lou Reed ou encore I’m feeling good par Muse 

Interview par Atld

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