Nicolas Raudrant : « On veut être un pont entre les deux cultures »

Défier Nike, Puma ou encore Converse, dans le monde des sneakers, en apportant un côté éthique, éco-responsable, voilà ce que se sont lancés Nicolas Raudrant et Aurélie Gisclon en fondant Wibes en 2017. Cette marque produit ses chaussures au Portugal, afin de favoriser au maximum le circuit court, puis utilise notamment du wax, un tissu populaire en Côte d’Ivoire, parmi ses matériaux, le tout avec le souci de respecter l’environnement et d’allier « un savoir-faire européen » avec une « tradition africaine ». Interview avec Nicolas Raudrant, l’un des cofondateurs.

Feat-Y : Qu’est-ce qui vous a motivé à cofonder Wibes ?

Nicolas Raudrant : Il y a plusieurs choses. La première, c’est la rencontre avec ma compagne, Aurélie. C’est le point de départ pour la création de la marque. On s’est rencontré aux États-Unis. On était encore étudiants. De fil en aiguille, on s’est rendu compte qu’on avait la France et la Côte d’Ivoire en commun, parce que je suis né en Côte d’Ivoire et que j’y ai grandi, ma famille y est présente depuis 40 ans ; et le père d’Aurélie travaille aussi en Côte d’Ivoire. On a ces deux cultures en commun. Au départ, c’était un projet de cours. On avait envie de créer quelque chose en rapport avec la mode. Notamment les baskets. Tout le monde portait les mêmes ce jour-là. L’idée nous est venue, comme ça, de créer des baskets qui soient responsables. C’est super important pour nous de le placer dès le départ de la marque. Faire les choses bien, de manière responsable, à dimension sociale, avec l’aide à une association humanitaire ou à dimension éco-responsable. Faire les choses bien, avec des matériaux qui respectent l’environnement. C’est vraiment ce début de rencontre qui a inspiré la marque.

Feat-Y : Pourquoi vous vous êtes lancés dans la production de sneakers ?

N.R : C’est quelque chose qui nous plaisait depuis longtemps. Enfants, on a toujours apprécié les baskets. C’est ce qu’on a porté durant toute notre jeunesse et en grandissant après. Les baskets ont évolué depuis qu’on est né. Elles sont toujours présentes, encore plus aujourd’hui. C’est quelque chose qui appartient à tout le monde et chacun peut y trouver son style avec des baskets. Au-delà d’un produit de sport, aujourd’hui c’est un produit lifestyle. On peut le porter en toute occasion. Avec un costume, une jupe. Tout le monde peut la porter. Donc, on avait envie d’apporter quelque chose de nouveau en 2017, quand on a fondé la société. Les baskets sont souvent dominées par de grands noms dans ce monde-là. On se rendait compte qu’il n’y avait pas vraiment de marques, à l’époque, qui proposaient des produits qui soient éco-responsables, qui n’incluent pas une dimension sociale au cœur de la marque. Ça venait après, par une démarche RSE. Mais qui ressemblait plus à une adhésion à un mouvement déjà en cours qu’à quelque chose qui leur appartenait dès le départ. Toutes ces motivations ont montré que les baskets sont un projet de cœur. Notre troisième associé, Julian, designer, qui nous a rejoint lui aussi, est passionné par les baskets. Il a fait un mémoire sur les baskets. C’est la basket qui est au centre de la marque et de nous trois aussi.

Les fondateurs de Wibes

Feat-Y : Comment avez-vous conçu votre modèle économique afin qu’il soit éthique ?

N.R : Notre modèle économique est assez simple, dans le sens où tout est concentré en Europe. Éthique, c’est un mot large qui regroupe différentes thématiques. Pour nous, ça regroupe la dimension sociale. Mais aussi la dimension éco-responsable, qui est le point principal. On veut une production européenne parce que, dans un premier temps, on veut fonctionner en circuit court. On est une marque française. On voulait une production qui soit le plus près possible de la France, sachant qu’en France, on n’a pas trouvé, au départ, d’entreprise qui pouvait produire les standards qu’on voulait, ni les designs qu’on avait. On s’est tourné vers le Portugal, qui est l’un des meilleurs pays au monde pour la production de baskets. C’est à deux pas de la France. Ils ont un savoir-faire depuis plusieurs générations sur les chaussures. Et principalement sur les baskets. Le premier aspect éthique, c’est une production portugaise, donc européenne.

Ensuite, c’est l’approvisionnement en matériaux. Toutes les matières premières pour nos chaussures sont européennes, à l’exception du wax, qui lui est africain ; ivoirien plus précisément. Parce qu’on voulait un tissu typiquement africain, qui réponde à nos attentes et qui appartienne aussi à notre culture. Et pas un produit qui vienne d’ailleurs. Hormis ce tissus, toutes les matières premières sont soit portugaises, pour plus de 80% des matières premières en fait, soit espagnoles pour les toiles, qui sont recyclées, soit italiennes pour les cuirs. Tout est vraiment éthique, dans le sens où on essaie d’améliorer, de production en production. Plus les collections avancent et plus le budget nous le permet, plus on sera éthique. Après, on s’attaquera au transport, parce qu’on transporte de manière classique, par camion. Mais on sait qu’il y a des solutions plus vertes qui existent. Ce sont des choses qu’on abordera par la suite, quand on le pourra.

Feat-Y : Vous vous engagez auprès du secteur de l’éducation à Madagascar, en Côte d’Ivoire, notamment pour les filles. Qu’est-ce que cet engagement représente, à vos yeux ?

N.R : Beaucoup de choses. Pour nous, l’éducation est quelque chose qu’on connaît depuis notre enfance, parce que mes parents travaillent dans l’éducation. Mon père était prof. Les parents d’Aurélie travaillent aussi dans l’éducation. On a grandi dans un milieu scolaire, un milieu éducatif. On sait le rôle que l’éducation peut jouer dans l’accomplissement d’une personne. En ayant grandi à Madagascar, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en France, on se rend compte que dans tous ces pays, pas seulement les pays en développement, l’éducation joue un rôle clé. C’est un facteur qui permet à une personne de s’accomplir ou non. On peut voir aujourd’hui les soucis qu’on a en France, avec le système scolaire, et on peut le voir encore plus facilement quand on va en Côte d’Ivoire. C’est pour ça que l’éducation est un secteur qui nous parlait vraiment, parce qu’on connaissait. On a choisi une association humanitaire en Côte d’Ivoire pour démarrer. Parce que c’est là que tout a démarré, à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. On s’attache à une association qui s’appelle l’AIFCI, pour Association internationale des femmes en Côte d’Ivoire, parce que c’est une association qu’on connaissait et dont ma mère a été bénévole. C’est encore une histoire de rencontre. Les personnes qui y travaillent sont bénévoles. Personne n’y perçoit un salaire pour le travail et le temps investis de leur part. Ça nous parle parce que ce sont des personnes qui croient en ce qu’elles font, et qui ne sont pas là juste pour récupérer un salaire à la fin du mois. La dévotion à la cause est importante et on a choisi une éducation particulièrement pour les femmes parce que, dans le monde entier, les femmes, par rapport aux hommes, sont délaissées. Soit par le système scolaire ou la société en général. On pensait, à notre petite échelle, donner une chance à ces femmes de faire des choses qu’elles ne pourraient pas faire sans l’éducation. C’est juste une super belle chose et si on pouvait apporter notre pierre à l’édifice, on était vraiment ravis de le faire.

Feat-Y : Vous utilisez du wax, venant de Côte d’Ivoire, comme tissu pour vos chaussures. Pourquoi ce tissu-là en particulier ?

N.R : Il y a beaucoup de tissus qu’on aurait pu placer sur nos chaussures, parce qu’on voulait une basket qui soit à cheval entre la France et l’Afrique. En particulier, la Côte d’Ivoire. Une basket qui nous ressemble, tout simplement ! On avait le choix entre plusieurs tissus sur le continent. Mais le wax nous parle encore plus que les autres parce qu’on le connaît depuis qu’on est né. Julian est ivoirien aussi. On a pu le porter, notre famille aussi. C’est un tissu qu’on connaît vraiment et qui nous appartient, dans un certain sens. On trouve que c’est un beau symbole parce qu’il a été importé par les hollandais en Afrique, puis gardé par l’Afrique, qui l’a réinterprété à sa manière. On trouvait que c’était un beau clin d’œil à quelque chose qui peut être vu comme négative, mais qui, finalement, devient positive. C’est quelque chose qu’on apprécie beaucoup. C’est une belle évolution et c’est quelque chose qu’on souhaite pour notre marque, qui retransmette des valeurs positives à un public un peu plus large pour un tissu qui est trop souvent rabaissé à quelque chose de simple, qui est en fait super complexe et qui a beaucoup de variations. Il coûte aussi beaucoup d’argent, même s’il y a des marques qui contribuent à le populariser à des prix très faibles, alors que derrière, il y a un vrai savoir-faire, que ce soit dans le design du tissu, dans la confection, dans la complexité des motifs qui lui sont attribués aussi.

Feat-Y : L’ensemble de la confection se fait au Portugal. Pour quelles raisons avez-vous choisi ce pays ?

N.R : Le Portugal, c’est une histoire de rencontre. On s’était renseigné sur la production de chaussures, parce qu’au départ, on n’y connaissait rien. On a posé différentes questions. On savait déjà que l’Italie et le Portugal étaient les meilleurs deux pays pour les baskets et les chaussures en général. On a contacté différentes entreprises en Italie, au Portugal. La première qui nous a répondu, c’est le Portugal. C’est une rencontre avec une personne qui a permis que le projet démarre. C’est notre relais avec l’usine au Portugal qui fabrique nos chaussures. C’est pour ça qu’on a choisi le Portugal. On s’est renseigné sur le pays. Il fait partie de l’Union européenne. C’est un pays proche de la France. En plus, ils ont un vrai savoir-faire traditionnel. Un vrai héritage qui se transmet de génération en génération. On travaille avec une manufacture de famille, où ça se transmet de père en fils. Une passion pour les chaussures. C’est pour ça que le Portugal nous a parlé, en plus d’y être allé et de connaître le pays. 

sneakers ethique fabriquées en wax de la marque wibes

Feat-Y : Quel type de clientèle visez-vous, dans un premier temps ?

N.R : On a une clientèle qui est assez large. On ne voulait pas se cibler un seul type de clientèle, soit juste des européens, soit juste des africains. On veut être un pont entre les deux cultures, et valoriser autant un savoir-faire européen qu’une tradition africaine. Nos chaussures et les valeurs de la marque permettent d’être assez large en termes de clientèle. Mais on voit que les 25-35 ans sont la cible principale, au départ. Un peu plus les femmes que les hommes. Mais ailleurs, ce sont surtout des gens qui sont ouverts et qui cherchent un produit qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs. Quelque chose d’un peu novateur, d’un peu nouveau, d’un peu urbain, qui leur parlera et qui pourra se marier avec toutes les tenues à n’importe quelle époque.

Feat-Y : Pensez-vous évoluer vers une dimension plus populaire, à moyen/long terme ? 

N.R : Le but de Wibes est de devenir une marque référente en termes de baskets, toujours en gardant notre ADN et les valeurs qui nous sont chères. On ne sera jamais une marque populaire, dans le sens négatif du terme, accessible à n’importe qui, n’importe comment. Le but est d’être populaire, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire être une référence en tant que marque éco-responsable et marque sociale. Ce sont des attributs qui sont vraiment importants pour nous, même si ce n’est pas seulement ça qui définit la marque. Le but, c’est que les gens apprécient le design. Comme n’importe quelle basket. Mais que derrière, nos valeurs viennent soutenir notre discours et que les gens adhèrent à ces valeurs. Aujourd’hui, c’est encore quelque chose d’un peu nouveau, même si le mouvement est en cours. On aimerait que l’éco-responsable et la dimension sociale, faire attention aux gens dans tout le processus de production, soit normal et qu’on n’ait plus besoin de le mentionner. C’est ce qu’on aimerait à long terme. On aimerait aussi conquérir le monde et que Wibes soit présent partout.

Feat-Y : En-dehors de l’éthique et du processus de production, comment comptez-vous davantage vous démarquer de marques concurrentes reconnues (Nike, Puma, Converse, etc.) ?

N.R : Dans la marque, en elle-même, les designs sont déjà classiques. Pour l’instant, on est une marque qui se lance. On essaie d’introduire de la nouveauté, de l’originalité, avec le tissu wax. On vient apporter une touche de couleur. On a la chance d’avoir un designer qui est super fort, apportant une touche particulière aux chaussures et donc, ce ne sont pas des chaussures qu’on a imaginées en reprenant une basket classique, comme Adidas ou Nike. On essaie d’apporter quelque chose de nouveau à chaque fois qu’on lance une nouvelle collection. La chance qu’on a, aussi, c’est d’avoir une équipe qui est hybride, entre deux continents. La chance d’être biculturel apporte une touche supplémentaire dans la conception, dans le design des chaussures, dès le départ. Au-delà des valeurs, dont on a déjà parlé un peu plus tôt, c’est la recherche de nouveaux matériaux, la recherche de nouveaux designs. C’est ça qui va nous permettre de durer dans le temps et de se différencier des marques classiques qui ont leur propre domaine de prédilection, comme des marques un peu plus sportives ou techniques, comme Nike ou Adidas. On a la chance d’avoir plein d’opportunités, mais aussi plein de différentes ressources qui permettent, derrière, d’aborder le futur en étant de manière sereine, en se disant qu’il y a de la place pour tout le monde sur le marché et que chaque marque qui réfléchit bien, travaille bien, peut trouver son audience. Aujourd’hui, les gens recherchent de la nouveauté. On achète tous chez les grandes marques parce que ce sont des piliers dans notre société. Mais on essaie toujours de chercher la petite pépite différente qui nous démarquera, soit dans le style, soit juste dans le message qu’on veut porter en tant que personne.

Feat-Y : Avez-vous développé des partenariats, du sponsoring, avec des personnalités susceptibles d’attirer vers vos modèles et de partager les valeurs que vous défendez ?

N.R : La collaboration, le partenariat, c’est quelque chose qu’on a commencé à envisager en 2019, qui était notre vraie première année commerciale. On a fait une toute petite collaboration avec une marque éthique en Afrique du Sud, qui fabrique des sacs dans les townships, par des personnes dans le besoin. C’est aussi une marque qui a les mêmes valeurs que nous, même si elle produit autre chose. C’est complémentaire de l’accessoire. On avait fait une série très limitée, pour tester la collaboration. Et aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on aimerait développer par la suite. Pour l’instant, on se concentre vraiment sur nos propres collections. On aura des opportunités, bientôt, de pouvoir faire des collaborations avec d’autres marques ou avec d’autres personnes. Le partenariat avec des personnalités publiques, des influenceurs, c’est quelque chose qu’on regarde attentivement. On développe notre stratégie de communication. Qu’elle soit digitale ou print. C’est quelque chose qui vient juste après. On est en train de s’y atteler. On essaie de chercher des personnes qui partagent nos valeurs et qui pourraient attirer, justement, leur communauté à découvrir une marque comme la nôtre, qui résonne avec eux.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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