« En fait, avant de penser l’après-Coronavirus, il faut penser l’avec-Coronavirus »

La question de la responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises (RSE) se pose de plus en plus ces dernières années. Notamment sous l’angle du respect de la nature. Pierre-Samuel Guedj, chef de la commission RSE du Conseil Français des investisseurs en Afrique, guide des entreprises françaises dans leurs activités sur le continent africain en matière de politiques RSE. L’occasion de voir avec lui quelles orientations peuvent être prises par les entreprises, en cette période marquée par la présence du Coronavirus, qui oblige à faire avec, recensant des initiatives sur ce sujet avec la plateforme Africa mutandi. Interview.

Feat-Y : Depuis combien de temps travaillez-vous sur les problématiques de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ?

Pierre-Samuel Guedj : Je travaille depuis presque 20 ans sur ces enjeux, parce que j’ai toujours associé dans mes activités de communication corporate et de représentation des intérêts, cette articulation-là, qui est, d’une manière générale, la prise en compte des attentes et des intérêts des différentes parties prenantes des acteurs pour qui je travaillais. Donc, cela a toujours été un sujet relativement fort et j’ai toujours cela au cœur de mes valeurs.

Feat-Y : Au sein du Conseil Français des investisseurs en Afrique (CIAN), quelle est la proportion d’entreprises adoptant des engagements en matière de politique RSE ?

P-S.G : Au sein du CIAN, j’anime la commission RSE et ODD (Objectifs du développement durable). À ce titre, je réunis régulièrement les entreprises membres pour les sensibiliser et pour partager avec elles les bonnes pratiques sur ces questions de responsabilité sociétale des entreprises. Que ce soit sur les notions de droits de l’homme, de changement climatique, de biodiversité ou de ville durable. Ce que je constate, c’est que la majeure partie d’entre elles ont des politiques ainsi que des stratégies en matière de responsabilité sociétale qui sont plus ou moins développées, abouties. Bien évidemment, c’est naturel, du fait de la diversité, la disparité. Mais quasiment tous ont une action sociétale et cherchent à optimiser leur impact positif sur ce continent.

Pierre Samuel Guedj

Feat-Y : Quels conseils donnez-vous aux entreprises membres du CIAN en matière de politique RSE ?

P-S.G : Au-delà des entreprises membres du CIAN, puisque l’on conseille tous types d’acteurs, pas seulement les acteurs membres du CIAN, nous conseillons également des entreprises africaines sur des politiques ou stratégies de RSE, ou encore des gouvernements sur ces sujets ou sur ces enjeux, on les accompagne avec la définition de la charte RSE du CIAN, que vous pouvez trouver en ligne et que j’encourage à lire.

Feat-Y : Quelles évolutions avez-vous pu constater sur la politique RSE des firmes françaises investissant en Afrique, membres du CIAN ou non, ces dernières années ?

P-S.G : Ce que l’on constate, c’est une mutation normative, qui fait que la RSE, qui est une dynamique volontaire, devient sur certains pans, obligatoire. On le voit avec la loi sur le devoir de vigilance, la loi Pacte ou encore la loi sur la transition énergétique. Ces dimensions deviennent obligatoires. Le respect de l’environnement. Le respect des conditions de travail sur le volet social, qui sont des acquis historiques. Cela signifie que les acteurs qui s’engagent en matière de RSE, qui est toujours une démarche volontaire, doivent faire preuve, ou font preuve, d’innovation sociétale de plus en plus forte pour accroitre, améliorer, optimiser leur impact positif dans les territoires sur lesquels ils opèrent. Cela se traduit par quoi ? Les grandes tendances sur ce sujet sont des dynamiques multi parties prenantes, multi acteurs. On va parler de grandes coalitions qui associent aussi les acteurs de la société civile. Je pense à l’initiative portée par Danone sur le volet diversité et nature. Vous avez des partenariats territoriaux qui se mettent en place, pour avoir un impact toujours plus fort, avec les différents acteurs. Plusieurs acteurs économiques, avec des acteurs de la société civile. Vous avez des thématiques qui émergent également, notamment en Afrique, comme le dynamisme entrepreneurial, le soutien entrepreneurial, qui a pris un essor colossal et qui est un véritable facteur de résilience pour l’Afrique. Le soutien du numérique, au développement du numérique est également un facteur de résilience colossal, porteur d’entrepreneuriat et aussi porteur de beaucoup d’impact puisqu’il y a de plus en plus d’acteurs qui développent des applications ayant, in fine, un impact positif en entrant dans le cadre des objectifs du développement durable. Tout cela nourrit, un petit peu, les mêmes dynamiques et on voit beaucoup de partenariats autour du soutien à l’entrepreneuriat dans le numérique, accompagnés par des acteurs comme Simplon, qui développe des écoles de codeurs. Ou encore des plateformes multi parties prenantes portées par des acteurs comme Make sense Africa, qui arrivent à fédérer sur un territoire comme dans le cadre du city lab de Dakar, différents acteurs comme Eiffage, ou d’autres.

Feat-Y : Vu le contexte de la pandémie de Covid-19, est-ce que l’accent est davantage mis sur les conditions sanitaires au sujet de la RSE dans les entreprises ?

P-S.G : Non. Tout simplement parce que les conditions sanitaires dans les entreprises ne sont pas de l’ordre de la RSE. C’est de l’ordre de la loi, de la réglementation. Vous devez, sur le plan réglementaire, assurer la sécurité des personnes qui opèrent sur vos sites. Ce n’est pas de la RSE mais ça n’empêche pas le fait que beaucoup d’acteurs se sont fortement investis pour la sécurité de leur personnel et des collaborateurs des entreprises sous-traitantes qui opèrent sur leurs sites. Ce qu’on a vu, c’est un grand élan de solidarité. Ce qui signifie, derrière, la recherche de solutions sanitaires à des populations, auprès de parties prenantes qui ne sont pas directement de la responsabilité de l’entreprise. Et ça, c’est de la RSE en tant que telle, au sens solidaire du terme. C’est aussi ce que l’on a vu en France, en termes de dons de masques, de dons de gels hydroalcooliques, de dons de matériel. Il y a eu, en Afrique, beaucoup d’initiatives sur ce sujet. C’est l’un des objets de la plateforme que nous venons de lancer, Africa mutandi, qui recense, justement, toutes les initiatives positives des acteurs français en Afrique en matière de lutte contre le Covid-19. Mais également en termes de réalisations des ODD. On a su identifier plus de 300 initiatives en moins d’un mois, qui montrent comment les acteurs se mobilisent, public, privé, société civile, et souvent de manière concertée, pour apporter un soutien et une solidarité, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, et puis à faire porter des initiatives du développement durable des différents acteurs.

Feat-Y : Est-ce que le Coronavirus peut influer sur une application généralisée de politiques de RSE au sein des sociétés, selon vous ?

P-S.G : De facto, oui. En fait, avant de penser l’après-Coronavirus, il faut penser l’avec-Coronavirus. Parce qu’on va être amené, potentiellement, à vivre plusieurs mois, voire plusieurs années avec cette situation pandémique un peu récurrente. Derrière, c’est l’organisation de l’ensemble des sociétés qui se trouve en situation de devoir être réajustée en fonction de la situation. Au niveau des entreprises, au niveau des ONG, au niveau des collectivités territoriales, au niveau des États, au niveau de tous types d’acteurs. Est-ce que cela réoriente la RSE ? Ça peut réorienter certaines dynamiques de la part de la RSE des investisseurs, publics comme privés. C’est ce qu’on appelle l’ISR, l’investissement socialement responsable. Ce sont eux qui accompagnent notamment les États ou les territoires dans le financement d’infrastructures et d’équipements, qui peuvent être énergétiques, numériques, mais aussi de santé publique. Vous pouvez avoir des acteurs qui choisissent, à un moment, d’organiser plus leurs investissements sur des sujets de santé publique plutôt que sur des sujets d’accès à l’énergie, compte tenu de la situation. Oui, ça peut changer les choses. Cela réoriente les stratégies.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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