Bolewa Sabourin, danseur français d’origine congolaise, cofondateur de l’association Loba, a fait de la danse une thérapie pour lui, en raison d’un parcours haut en couleurs, mais surtout pour autrui, notamment auprès de femmes dont les corps furent meurtris par des violences subies et source de réflexion sur le genre masculin en ce début de 21e siècle.

Résumer la vie de Bolewa Sabourin est un défi à la hauteur de la personne. Né en 1985 à Paris, d’un père congolais de Mbandaka (République démocratique du Congo) et d’une mère française de La Rochelle, Bolewa fut emmené à l’âge d’un an par son père à Kinshasa, auprès de ses grands-parents, en étant arraché de sa mère. Jusqu’à ses six ans, il vécut dans un quartier pauvre de la capitale de l’ex-Zaïre, avec ses grands-parents, jusqu’à ce que son père le fasse retourner à Paris ou à Saint-Denis, voguant d’habitation en habitation au fil des ans et en fonction des rencontres de son père, comme il l’indique dans son autobiographie La rage de vivre. Pas de quoi avoir une certaine stabilité. Mais cela rendait le futur danseur débrouillard et « hypersensible ». Balla Fofana, coauteur de l’autobiographie de Bolewa, confirme cette grande sensibilité chez ce dernier. « J’ai toujours quasiment vécu dehors. Tu es tout de suite confronté à la réalité brute. Il fallait toujours que je réponde, sinon je me faisais toujours écraser » confesse Bolewa. Retrouvant sa mère à l’âge de 11 ans, il partit la rejoindre en Martinique un an plus tard, faisant ainsi connaissance de trois demi-frères. Mais il repartit pour Paris un an plus tard, en raison d’une relation mère-fils difficile ou un regard extérieur le regardant comme un « négropolitain », lui donnant l’impression d’être « partout et nulle part en même temps ».

La danse, une thérapie personnelle…

À l’âge de neuf ans, Bolewa est initié à la danse par un ami de son père, danseur. Une figure qui a eu beaucoup d’influence sur le trentenaire. « J’ai dansé avec lui et ça a été ma bouée de sauvetage. Je sentais toute cette liberté que je n’avais pas ailleurs dans le monde que je vivais, ça m’élevait, me permettait d’exprimer des tas de choses que je n’arrivais pas à exprimer en-dehors » analyse Bolewa, reconnaissant envers son mentor et soucieux d’en faire un instrument de thérapie, qu’il a utilisé pour lui-même, notamment après raté son baccalauréat en STI électro-technique. « Quand il n’allait pas bien, même quand on allait en soirée, quand il avait ses cours de danse, c’était un bol d’air qui lui permettait de complètement déconnecter avec la réalité, le quotidien, etc. Je pense que c’est le premier à avoir testé sa thérapie » enchérit Bruno Contencin, ami de Bolewa depuis son retour de la Martinique, au temps du collège, témoin des années de galère de son ami et de sa réussite avec son association Loba, signifiant « exprime-toi » en lingala, une des quatre langues nationales de la RDC.

Cofondateur, avec Bolewa, de l’association Loba, William Njaboum partage la vision de Bolewa sur l’art comme outil « au service de la cité ». « L’art, c’est un moment de vérité. C’est un moment où on ne peut pas se cacher. Et l’utiliser l’art pour le mettre au service de la cité, c’est proposer au monde ce que l’on est. On pense que c’est par la singularité des uns et des autres qu’on arrive à construire un monde un peu plus vrai, un peu plus cohérent, un monde où on arrive à se départir de certains carcans, de certaines idées préconçues » précise-t-il. Pour Balla, cette vision de l’art, développée par Bolewa et William, permet un dépassement de soi et de construire une communauté soucieuse de prendre soin d’autrui. « Son engagement permet de revenir aux missions premières de l’art avant le spectacle et la marchandisation » analyse-t-il.

En parallèle, bien qu’il n’ait pas eu le bac, Bolewa est sorti diplômé d’un Master en Ingénierie de la concertation en Sciences politiques à l’université Paris 1 en 2015. « C’est pour montrer l’aberration de ce système, qui ne construit pas des individus, qui n’instruit pas des individus pour qu’ils puissent réfléchir par eux-mêmes, mais pour qu’ils puissent recracher le savoir qu’on leur bourre dans la tête. Les conditionner plutôt que d’en faire vraiment des libres-penseurs qui ont leur vrai libre-arbitre » tacle Bolewa. « Il force l’admiration pour sa capacité à s’affranchir d’un déterminisme sur lequel on peut parfois s’attarder » souligne William.

… et collective

Cette expérimentation de la danse comme thérapie individuelle étant assurée, Bolewa et William cherchent à la déployer pour le collectif, sous différents angles. « On décline à chaque fois. Mettre l’art au service de la cité. Ensuite, mettre l’art au service de la santé. Puis, à une échelle plus personnelle, et c’est ce qu’on fait dans les lycées, c’est de mettre l’art au service de l’éducation ». Et tout particulièrement au sujet des violences faites aux femmes. « Le fait d’utiliser la danse pour aider les femmes victimes de traumatismes est juste quelque chose d’énorme et ce sont vraiment des moments, pour avoir assisté aux ateliers, magiques » souligne Flora Delhove, danseuse travaillant aux côtés de Bolewa au sein de l’association. Ce qui a poussé Bolewa à être attentif au sort des femmes est sa rencontre avec le docteur congolais Denis Mukwege à Paris, le 8 mars 2016. Un moment révélateur pour le danseur, tenant à aider les femmes victimes de viol comme arme de guerre dans l’Est du Congo. « Quand j’ai demandé au docteur en quoi puis-je lui être utile, il m’a demandé de faire un projet. Je lui ai proposé un projet autour de la danse comme outil de reconstruction psychologique » indique-t-il. Un an plus tard, se rendant à Bukavu, ville où travaille le Dr Mukwege, Bolewa développa sur le tas son projet et en sortit marqué par ce séjour. « Au lieu de faire juste danser les femmes, on les ferait danser et parler. Je les ferais danser, en parallèle avec un psychologue, un psychiatre, qui les ferait parler juste après mon temps de danse et qu’on allierait les deux, ensemble. Pas l’un après l’autre. […] Comment on utilise la danse pour leur permettre de se soigner psychologiquement. Du coup, quelles vont être les techniques permettant d’aller toucher le cerveau pendant des ateliers de danse. […] Partir là-bas m’a mis une claque. De voir la capacité de résilience des femmes. Tu réalises que tout ce que tu as vécu, tu es privilégié, mine de rien. Tu te décentres. Et c’est là où ça a été formidable. […] Ça montrait que ce que je faisais avait de l’utilité. Ça leur faisait du bien. Elles se sentaient mieux. C’est une sacrée grâce, une sacrée gratification. C’est utile pour moi et pour les autres. C’est ça mon chemin. C’est là où je dois aller » se remémore-t-il, ému de cette expérience. « L’un des grands objectifs de l’association, et de Bolewa en particulier, c’est de retourner auprès de ses femmes pour pouvoir faire plus », ajoute Flora, qui est devenue amie de Bolewa à son retour de la RDC.

Réflexion sur la masculinité au 21e siècle

Ce séjour a tellement marqué Bolewa qu’il s’est lancé, avec son acolyte William, sur une réflexion générale à propos de la masculinité au 21e siècle, organisée autour d’ateliers, de spectacles de danse, de conférences. « C’est cet atelier qui a été le déclencheur du projet » souligne William, mesurant l’influence de ce séjour à Bukavu auprès des femmes victimes du viol comme arme de guerre dans la réflexion de Bolewa sur la masculinité. Mais pour Bolewa, l’essentiel « n’est pas que ça donne des réponses, mais que ça pose des questions ». Et parmi ces questions, il y a « qu’est-ce qu’être un homme ? ». C’est tout un programme par rapport à l’identité de chacun. Bolewa revendique, pour sa part, une identité plurielle. « Elle est congolaise et française. Elle est bourgeoise, bobo, et caillera des quartiers populaires ». Pour William, ce débat est une occasion pour les hommes de se recentrer sur eux-mêmes, sur ce qu’ils sont. « On nous construit un chimérique Superman, auquel tout le monde souhaite tendre, et qu’on se rend compte que ce Superman, par définition, n’existe pas. On tend à devenir cet individu imaginaire et crée des comportements toxiques » analyse-t-il, critique à l’égard du modèle de type d’homme véhiculé dans la société actuelle. « Ce projet sur les masculinités est bien pensé et il était temps que ce soit pensé, par rapport à la thématique des traumatismes que subissent les femmes » salue, pour sa part, Flora, convaincue que le développement de ce questionnement au sein de la gent masculine peut en sortie une issue positive pour tous. Si Bruno souligne les potentiels désaccords, il considère, cependant, l’importance de cette thématique et les perspectives qui peuvent s’en dégager. « Ça peut révolutionner toute forme de féminisme, d’égalitarisme, de racisme, d’ego » estime-t-il, pensant que les conflits humains sont grandement liés à « des idées reçues sur le machisme, sur la domination, sur la fierté ». D’où une importance accordée à l’éducation de la part de l’association Loba. « On intervient dans un lycée, à Montreuil, depuis trois ans, où on permet à des jeunes en seconde de prendre connaissance de la question du patriarcat en commençant par la question du viol comme arme de guerre au Congo et en l’élargissant à la question des violences sexuelles faites aux femmes dans le monde. Et ce, en montrant que c’est le même système de domination qui existe » déclare Bolewa, pour qui l’art est un moyen d’engagement, y compris politique, dans le sens premier du terme, à savoir la vie de la cité.

Jonathan Baudoin