Arnaud Thibault (Massilia Socios Club) : « Notre objet est de pérenniser l’OM au plus haut niveau, tout en conservant son côté populaire »

Le football est un miroir de notre société néolibérale, avec des supporters vus seulement comme des consommateurs. Or, plusieurs d’entre eux, en France, ont formé des collectifs de socios aspirant à prendre du pouvoir dans la gouvernance des clubs, à l’instar de ce qui se fait en Espagne notamment, avec les cas du FC Barcelone ou du Real Madrid. Parmi ces collectifs figure le Massilia Socios Club, regroupant des supporters de l’Olympique de Marseille depuis 2016, voulant importer ce modèle économique au sein du club. Arnaud Thibault, un des fondateurs du collectif, a tenu à expliquer la démarche du collectif dans un contexte financier difficile pour l’OM, pas facilité par la crise liée au Coronavirus. Interview.

Feat-Y : Depuis combien de temps le Massilia Socios Club existe-t-il ?

Arnaud Thibault : Il existe depuis janvier 2016. Cela fait donc plus de quatre ans maintenant. La première personne qu’on a rencontrée pour faire valider le projet, c’est Pape Diouf [Ancien président de l’Olympique de Marseille (2005-2009), mort du Covid-19 le 31 mars 2020, NDLR]. Et ensuite, les groupes de supporters.

Feat-Y : Qu’est-ce qui vous a motivé à fonder ce collectif et quels sont vos objectifs ?

A.T : Au départ, c’est la situation dans laquelle se trouvait le club à cette époque-là. Il faut remettre un peu de contexte. En 2016, c’était Margarita Louis-Dreyfus qui était propriétaire du club. On n’avait aucune information sur une quelconque revente du club. On voyait Vincent Labrune couler le club de jour en jour. On n’avait pas envie de rester assis dans notre canapé et de voir le club mourir à petit feu. On s’est dit qu’on allait mettre notre professionnalisme au service de cette cause. On s’est lancé, avec Julien Scarella et deux avocats, dans l’aventure. Pour valider ce concept, on a rencontré Pape Diouf et discuté durant deux heures, en février 2016. Il fallait mener un projet qui ait des chances d’aboutir. On a voulu le valider auprès de lui. Notre objectif est de permettre à l’OM de présenter un modèle économique qui permette à l’OM de se pérenniser au plus haut niveau, tout en préservant sa ferveur populaire et son histoire, qui font sa renommée. C’est ça qui fait le fondement de notre démarche. Aujourd’hui, ce qui fait l’OM et le sens de l’OM, ce sont les supporters. C’est la ferveur qu’il y a dans le stade. Ce n’est pas l’équipe qu’on a sur le terrain depuis 25 ans, ou les joueurs. Il n’y en a pas un qui fait plus rêver que d’autres dans les joueurs qu’on a eus, à quelques exceptions près. Toujours le principe du logo au-dessus des joueurs, de l’OM au-dessus des joueurs, des dirigeants, des entraîneurs qui sont passés. C’est vraiment pérenniser l’OM au plus haut niveau tout en conservant sa ferveur populaire. Et pour ça, on amène un projet socios, qu’on pense être le meilleur modèle économique pour arriver à atteindre cet objectif.

Feat-Y : Est-ce que vous vous réclamez du principe « un homme = une voix », comme cela se fait dans des entreprises coopératives ? 

A.T : C’est plutôt le principe, oui.

Feat-Y : En-dehors de Pape Diouf, est-ce que vous avez des soutiens de la part de supporters, d’anciens joueurs de l’Olympique de Marseille ?

A.T : Notre stratégie de base a été de ne pas communiquer. Au départ de l’aventure, on n’était personne. On est allé rencontrer tout l’écosystème de l’OM, qui gravite autour de l’OM. D’où la rencontre avec Pape Diouf. Ensuite, on est allé s’assurer que le projet colle et plaise aux groupes de supporters, qu’on est allé voir. Certains groupes de supporters nous soutiennent. D’autres groupes, les plus importants, sont restés assez neutres, disant grosso modo ceci : « si vous y arrivez, franchement, c’est génial. Mais, par contre, on n’y croit pas ». Ce qui est normal, au démarrage d’un projet. Il n’y avait rien, au début, forcément. Mais on voulait entendre, a minima, qu’ils valident le projet même en ne le soutenant pas publiquement. Après, notre stratégie a été d’aller voir des leaders d’opinion, pour les convaincre du bien-fondé de notre idée, afin qu’ils fassent passer le message. Il y a JPP, qui nous a soutenu officiellement. Di Méco aussi. Amoros, Dib ou encore Mozer, qu’on avait contacté. Et pour certains, ils ont pris leur carte ou laissé un message public de soutien. Après, il y a des entrepreneurs qui nous ont soutenu. On est allé voir des gens comme René Malleville, Bengous. Sans rentrer plus dans le détail, voilà les gens qu’on est allé voir. On est allé voir également l’association OM, forcément. On a eu des contacts avec des politiques. On a fait tout l’écosystème autour de l’OM.

Feat-Y : Combien de personnes ont pris leur carte au Massilia Socios Club jusqu’à présent ?

A.T : On est dans les 3.500. Là-dedans, il faut distinguer ceux qui ont payé 80 euros, d’autres 30 euros, et quelques-uns qui ont une adhésion gratuite. Mais ça reste à la marge. Il y a 600-700 adhérents gratuits. Le reste, c’est du payant.

Feat-Y : Est-ce que d’autres collectifs de supporters d’autres clubs français suivent la même ligne que vous et est-ce que vous vous échangez des conseils ?

A.T : On a adhéré au CNSF, qui est piloté par un collectif nantais. Mais il y a peu d’échanges là-dessus. Pour répondre à votre question, on échange peu avec les autres mouvements des autres clubs. On a échangé avec les nantais, principalement. Et les autres, pas du tout.

Feat-Y : Depuis que vous existez, quels sont vos échanges avec la direction de l’Olympique de Marseille ?

A.T : Nos échanges avec la direction de l’OM ont été introduits en 2016. En avril 2016, on a appris que le club allait être vendu. On a su, fin août, que c’était McCourt et à ce moment-là, on a contacté Didier Poulmaire, l’avocat de la transaction, qui est convaincu du bien-fondé d’un système socios et que s’il y a un endroit où ça pourrait marcher, ce serait à Marseille. De là, il nous a introduit auprès de Jacques-Henri Eyraud, qu’on a rencontré à Paris fin novembre 2016. S’en sont suivis plusieurs rendez-vous pour prendre la température. De mémoire, on l’a rencontré en mars 2017 puis en juin 2017. De là, il nous a présenté à ses équipes pour travailler sur la mise en place du projet, en juillet 2017. Entre juillet 2017 et avril 2019, deux ans d’échanges, de discussions, de négociations, qui se sont étiolés au fur et à mesure du temps. Quand on avait une réactivité de deux-trois semaines, ils mettaient deux-trois mois à nous répondre. On était dans un état d’esprit de co-construction, avec eux, d’un projet intelligent pour qu’il marche. En face, ils étaient dans un processus de négociation un peu bizarre et ils ont essayé de tirer un peu dans tous les sens le projet et de tirer la couverture de leur côté, pour qu’on leur dise, en début d’année 2019 : « il y a des gens qui ont cotisé 80 euros et ça fait deux à trois ans qu’on leur dit qu’on est toujours en discussion avec l’OM. Soit, on trouve un accord gagnant-gagnant pour tout le monde. Soit, on dit stop aux négociations et on rembourse les gens ». Donc, ils ne sont pas allés au bout des choses que l’on voulait. On a stoppé les discussions en avril 2019, en envoyant un mail à Jacques-Henri Eyraud en disant qu’on ne nous proposait pas un deal gagnant-gagnant et que, dans ces conditions, on n’avait pas envie d’embarquer les gens dans un projet dont on pensait qu’il allait être un échec et qu’on restait à sa disposition pour construire, avec eux, un projet gagnant-gagnant qui puisse marcher et servir l’OM. Il y a deux-trois semaines, on leur a envoyé un mail en disant que suite à son interview dans l’Équipe, parlant de valeurs qu’on défend depuis le début, qu’on était disponible pour travailler le foot de demain et l’OM de demain. Qu’on était un laboratoire d’idées sur lesquelles il pouvait s’appuyer, avec nous. D’ailleurs, ils ne s’en sont pas privés. Dans les échanges, il y a beaucoup de choses qui sont mises en place qui venaient d’idées qu’on a transmises, écrites noir sur blanc. Voilà l’état des discussions avec l’OM.

Feat-Y : Si le Coronavirus a poussé à l’arrêt prématuré de la saison de Ligue 1, et entériné la deuxième place de l’OM en championnat, synonyme de qualification en Ligue des champions, la situation financière du club reste fragile. Comment comptez-vous convaincre la direction du club et les supporters du bien-fondé de votre démarche ?

A.T : Notre projet est d’apporter un nouveau modèle économique. Avec un système socios, le club est plus fort parce qu’il a une patte de plus. Puis l’investissement que McCourt ne peut pas faire, les socios peuvent le faire, étant donné que McCourt est bloqué par le fair-play financier. La première notion est qu’un club de foot gagne de l’argent par les droits télé, le merchandising, la billetterie, le trading de joueurs et le sponsoring. Ce sont les cinq principales rentrées d’argent. On pourrait y ajouter le système socios qui serait alors une rentrée d’argent complémentaire. Un club qui a six rentrées d’argent, plutôt que cinq, c’est mieux. Et c’est surtout qu’il est moins dépendant des cinq autres. Si demain, on a une rentrée qui saute, avec le système socios, il y a toujours une rentrée d’argent qui est là. Par exemple, admettons qu’il y a quatre rentrées d’argent, chacune rapportant 20% du chiffre d’affaires. Avec le système socios, ce serait environ 17% de chaque. Si demain, on n’a plus de droits télé, le chiffre d’affaires saute de 17%, et non de 20% dans le précédent modèle. Ça, c’est la première chose. La deuxième chose, c’est que McCourt a injecté de l’argent. Le fair-play financier a interdit à un investisseur de faire dans le mécénat, qui est de l’argent mis à perte. 30 millions de déficit sur trois ans. McCourt, comme n’importe quel autre investisseur, ne peut pas mettre son argent à perte. Il gagne un euro, il en dépense un. Si l’OM gagne un euro, il en dépense un. Et McCourt n’a pas le droit de mettre un euro pour que l’OM dépense deux. Avec le système socios, ça permet au lieu de dépenser un euro, on peut dépenser 1 euro et 20 centimes. Tout ça pour dire que McCourt ne peut plus mettre d’argent. Il n’en a pas le droit, si on joue la coupe d’Europe. Avec le système socios, si demain, dans 10 ans, dans 15 ans, dans 20 ans, on est 180.000, c’est largement possible pour un club comme Marseille et si on regarde les autres clubs socios, ça représente 18 à 20 millions d’euros par an. Ce montant, McCourt ne peut pas le mettre de manière récurrente sur 10, 20, 30, 40 ans. Aucun investisseur n’en est capable. Et ce revenu par les socios n’est pas bloqué par le fair-play financier car l’argent provient des clients (supporters) de l’entreprise (OM). Le système socios veut qu’il y ait en contrepartie du pouvoir pour les socios, mais aussi un certain nombre d’avantages. Ce qui est un argument complémentaire pour ne pas rentrer sous la coupe du FPF.

Feat-Y : Est-ce que la période que nous vivons actuellement, peut permettre à des alternatives comme la vôtre de devenir crédibles face à ce qui est appelé le « foot-business » ?

A.T : C’est complètement l’objet. Ça fait partie de quoi on existe. C’est justement lutter contre le foot-business. Notre objet est de pérenniser l’OM au plus haut niveau, tout en conservant son côté populaire et sa ferveur. Ça veut dire de permettre à tous d’accéder au stade ou de voir l’OM. D’avoir une billetterie pas chère, des abonnements pas chers. Et aujourd’hui, ce qu’on voit, dans le foot-business, les prix s’envolent. Ça veut dire que les gars paient des superstars des milliers, voire des millions d’euros et en face, ça pioche chez le client. Donc, les supporters. À la fin, ça devient comme au PSG, où on n’a plus que des spectateurs et des mecs en costard-cravate dans les tribunes. On n’a plus cette ferveur. C’est ça qui nous pend au nez avec le foot-business. C’est ce qui se passe en Angleterre, avec des chinois qui sont assis dans un stade en train de regarder un spectacle. Pour nous, le foot n’est pas ça. Le foot, c’est un public qui pousse son équipe. C’est le stade Vélodrome quand il est en ébullition lors des matchs contre Paris, contre Lyon, contre Leipzig, pour les exemples les plus récents. C’est ça le foot pour nous ! Et avec notre modèle, on préserve ça. Il faut qu’il y ait une équipe compétitive sur le terrain mais il faut préserver le côté populaire. Et quand je dis pérenniser l’OM au plus haut niveau, c’est être dans les 16 meilleurs clubs européens tous les ans. Ça veut être en huitièmes de finale de Ligue des champions tous les ans, minimum. Et puis plus loin une année où on est meilleur, où il y a un peu de chance. Et un club comme l’OM, c’est là où il devrait être.

Feat-Y : Ces derniers jours, une rumeur sur une revente de l’OM auprès d’un milliardaire saoudien. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

A.T : Concernant la rumeur, nous n’avons pas d’avis à ce stade. On attend de voir. Mais une fois de plus, nous avons un potentiel repreneur qui est très loin de la culture football, de la culture football que l’on aime, de la ferveur marseillaise, de notre culture, de notre passion, de notre identité, de notre territoire. Une fois de plus, ça serait un investisseur hors sol. J’ajouterai que l’Arabie Saoudite est quand même un des pires pays du monde en termes de valeurs, et donc très éloigné des valeurs portées par notre pays, en commençant par les droits de l’homme. Ça commence à faire beaucoup pour imaginer qu’un projet de reprise par ces gens-là soit une réussite.

Feat-Y : Si vous étiez un film, lequel seriez-vous ?

A.T : Je dis l’Effet papillon parce que c’est un film qui me parle. On a un bon exemple en ce moment. On a un chinois qui a bouffé une chauve-souris à l’autre bout du monde et tout est renversé dans le monde entier.

Feat-Y : Si vous étiez un match de football, ce serait lequel ?

A.T : Franchement, ce serait le OM-Montpellier de 98/99 [victoire de l’OM 5-4 alors que l’OM était mené 0-4 à la 60e minute, NDLR]. J’aime bien ce côté de remonter, de ne rien lâcher. Ça colle bien à Marseille. La grinta que j’aimerais voir dans ce club.

Feat-Y : Si vous étiez une personnalité du football (joueur, entraîneur, dirigeant), ce serait qui ?

A.T : Didier Deschamps, parce que c’est un professionnel. Il ne laisse rien au hasard puis il a un objectif à atteindre.

Feat-Y : Si vous étiez un pays, ce serait lequel ?

A.T : La France.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin